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Confinement avec Akerman

Par Mathieu Victor-Pujebet

Il y avait la vie, et puis tout à coup :

plus rien.

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17 Mars 2020, le premier confinement est annoncé en France. Il durera près de deux mois, précisément 55 jours. L’Eté passe et le 30 Octobre de la même année, un second confinement est instauré.

Enfermé chez soi, le temps s’écoule différemment. Les activités ne sont plus les mêmes. Peu à peu, sans même qu’on y porte attention, le monde se transforme sous nos yeux.

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Il y avait la ville, et puis tout à coup :

le silence.

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En 1974, une jeune réalisatrice belge du nom de Chantal Akerman réalise son premier long métrage qui sortira en France deux ans plus tard : Je, Tu, Il, Elle. La cinéaste nous y raconte le parcourt sentimental et existentiel d’une jeune femme, jouée par Akerman elle-même, qui vient de se faire quitter…

Retournée par cette rupture amoureuse, la jeune femme s’enferme chez elle pour quelques jours, seule, dans sa chambre.

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Il y avait l’amour, et puis tout à coup :

le vide.

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Les trente premières minutes de Je, Tu, Il, Elle suivent donc, embrassent, le quotidien de cette jeune femme confinée. Seule.

Elle dort, déambule, mange, range et dérange, l’unique pièce qui lui sert d’univers. Elle sculpte le lieu, l’agence et le désagence sans arrêt, comme un espace à l’image de son esprit attristé et bouleversé qui ne saurait rester en place sans ruminer.

Elle se met à nu, déshabille le lieu et écrit.

 

Il y avait le monde, et puis tout à coup :

la solitude.

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Mais nous sommes au cinéma, et comme dans tout film, la caméra observe, scrute. Cet espace, déconnecté, est hors du monde mais pas hors du temps. La caméra d’Akerman est presque toujours fixe. Les gestes de la jeune femme, toujours infimes, imperceptibles. Le cinéma est un art du temps, de la captation de celui-ci. Les plans sont longs, le tempo se dilate, l’ennuie s’invite…

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Il y avait l’allegro, et puis tout à coup :

l’adagio.

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…mais étonnamment, d’une manière tout aussi diffuse et étirée, s’ouvre une porte. Le nouveau rapport au temps auquel le spectateur est confronté dévoile une brèche, une fissure dans la réalité. Nous pénétrons dans un autre niveau de contemplation, d’attention, d’appréciation du moindre détail présent à l’écran.

Un simple micromouvement devient alors une tornade, une explosion à l’impact démentiel qu’accompagne une vague d’émotion insoupçonnée.

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Il y avait le clin d’œil, et puis tout à coup :

le regard !

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La caméra d’Akerman accompagne ce regard. Elle, avec son rapport au temps, au filmage, mais aussi au son, lui permet de pénétrer en la matière afin d’y trouver un nouveau monde/mode de sens, d’émotion et de vertige.

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Il y avait le brouhaha, et puis tout à coup :

les mots !

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Le temps devient alors palpable. Le vide ? Matière.

Prenons alors leçon de l’expérience : confinés mais toujours alertes, il ne saurait plus tarder, le temps retardé, de s’attarder sur ce nouveau monde. Essayer, ne serait-ce qu’un instant,

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de voir.

 

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Réalisé par Chantal Akerman

Écrit par Chantal Akerman et Eric Kuyper

Avec Chantal Akerman et Niels Arestrup

Produit par Paradise Films

Durée : 1h26

Sortie le 17 Novembre 1976

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