top of page

Antidisturbios

Une série de Rodrigo Sorogoyen et Isabel Peña

Par Mathieu Victor-Pujebet

          Après une montée en puissance durant la dernière décennie, incarnée par une poignée de longs-métrages passionnants, 2020 semble avoir été pour Rodrigo Sorogoyen une année de déploiement artistique assez hallucinante. En effet, après avoir livré le flamboyant mélodrame Madre, le cinéaste espagnol revient sur le terrain du thriller, entre enquête et corruption, avec sa mini-série Antidisturbios.

​

     L’histoire est celle d’un groupe de CRS madrilènes qui est accusé de bavure après une expulsion dans un immeuble de la capitale qui tourne au drame…

     Depuis ses premiers films, déjà co-écrits avec sa fidèle scénariste Isabel Peña, Rodrigo Sorogoyen prend un malin plaisir à filmer, qui plus avec une virtuosité assez dingue, la violence qui surgit du quotidien, du banal. En mettant en scène des personnages humains, mais constamment à la limite de l’explosion, le cinéaste espagnol tente de faire surgir cette animalité enfouie de l’Homme, sous le regard nerveux de sa caméra. Est-il donc étonnant que le bonhomme aille s’intéresser au sujet des violences policières ? Car il est inutile de rappeler que la série sort dans un contexte international de tensions sociales qui se manifestent par de nombreuses confrontations entre des citoyens et les forces de l’ordres. Dans ce cadre, il serait tentant de, à travers la fiction, soit déshumaniser complétement les forces de l'ordre, soit au contraire, de les déresponsabiliser de leurs actes d’une violence infinie. Mais le scénario d’Isabel Peña et Rodrigo Sorogoyen ne tombe forte heureusement pas dans ce travers manichéen. En effet, il est question ici de recontextualiser les actes terrifiants de ces protagonistes, non pas pour les justifier, mais pour montrer très précisément que ces abominations ne sont pas le fait d’individus monstrueux, mais bien les surgissements de violences et d’animalité, tout à fait humains, d’hommes et femmes exploités par des instances bien plus puissantes qu’eux. Sorogoyen et Peña ne nous demandent donc pas de pardonner l’impardonnable, mais de percevoir les ficelles d’un jeu plus grand et terrifiant d’individus invisibles et inaccessibles qui puisent dans cette violence pour assouvir leurs intérêts personnels.

     Car Antidisturbios parle également de corruption, notamment lors d’une seconde partie de saison où l’on tentera de donner des visages et des noms à cette puissance manipulatrice et presque immatérielles, puisque dissimulée à l’autre bout d’un appel téléphonique, ou bien d’un micro sur écoute. Ces fantômes, tirant sagement les ficelles d’une violence latente dans la société Espagnole, vont être traqué par le personnage de Vicky Luengo, une jeune flic aux affaires internes. Véritable porte d’entrée du spectateur dans ce monde de corruption, son idéalisme va être confronté aux compromis constants d’un système où le bien et le mal sont amants, et où ceux-ci donnent naissance à tout un tas d’enfants difformes et monstrueux. Cette ambiguïté morale, récurrente dans la jeune œuvre du cinéaste espagnol, questionne de façon passionnante et profonde son spectateur jusqu’à atteindre un final d’une grande beauté dans son amère réconciliation…

​

          Rodrigo Sorogoyen et Isabel Peña réussissent ainsi, avec précision et virtuosité, à construire une série constamment sur le fil entre incarnation et théorie, réalité sociale traitée avec nervosité et quête initiatique sur la découverte d’un monde de corruption. Ajoutons à cela une intelligence d’écriture et de caractérisation mais également une puissance de mise en scène qui rappellent que Sorogoyen est très certainement un des auteurs les plus passionnants apparus dernièrement.

​

​

Une série de Rodrigo Sorogoyen et Isabel Peña

Réalisé par Rodrigo Sorogoyen (épisodes 1, 2, 5 et 6) et Borja Soler (épisodes 3 et 4)

Ecrit par Rodrigo Sorogoyen, Isabel Peña, Eduardo Villanueva

Avec Vicky Luengo, Raúl Arévalo, Álex García, Hovik Keuchkerian, Roberto Álamo, Raúl Prieto

Produit par MovieStar+

Durée : 300min environ (50min×6)

Sortie le 16 Novembre 2020 sur Polar + (MyCanal)

bottom of page