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Serre moi fort
Un film de Mathieu Amalric

Par Mathieu Victor-Pujebet

"Who is the dreamer ?"

 

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          Après un Barbara qui avait enchanté la compétition Un certain regard lors du festival de Cannes 2017, l’acteur et réalisateur Mathieu Amalric est de retour avec un septième long-métrage : Serre moi fort.

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     L’histoire est celle de Clarisse (Vicky Krieps), une mère de famille qui décide de partir un matin, laissant ainsi derrière elle son mari (Arieh Worthalter) et ses deux enfants (Anne-Sophie Bowen-Chatet et Sacha Ardilly). Alors qu’elle est sur la route, dans la voiture de collection de son mari, la tristesse l’envahie : est-ce vraiment elle qui est partie ?

     Difficile de parler du nouveau film de Mathieu Amalric sans en divulguer le secret. Une femme s’en va et on suit à la fois son parcours et le quotidien de ceux qui sont restés. Deux lignes narratives se tracent, mais rapidement l’une déborde sur l’autre et les contours se floutent. La mère guide sa fille au piano et chuchote des réponses à l’oreille du père face aux questions incessantes de leur fils : mêmes séparés, un lien intime fait coexister ces deux espaces. La caméra d’Amalric capture ainsi, et ce avec une fluidité spectrale d’une sensibilité rare, des lumières et des sons, donnant à voir les mouvements invisibles entre ces deux récits, ces deux mondes. Ce voile fantomatique qui couvre le film le fait muter en une errance fantasmatique, à deux pas du fantastique, qui explore une situation éculée, comme le décès d’un/de proche/es, mais par le biais d’une forme éclatée et évocatrice. L’expressivité de la mise en scène du cinéaste vient alors donner corps à une écriture tout en passages et bifurcations, extrapolant le sentiment d’absence en un réseau sensible de simulacres et de fictions.

     En effet, alors que le spectateur prend peu à peu conscience des enjeux réels qui entourent les personnages, Serre moi fort se mue, non pas en un film sur le deuil, mais bien sur la fiction : une fiction que l’un des personnages fabrique pour faire vivre le/les être/es disparu/us. Il s’agira alors de réinventer celui/celle/ceux qu’on a aimé, en simulant un départ, car il est plus simple de se confronter à la violence de la fuite plutôt qu’à l’injustice d’un décès. Cette lucidité sur le sentiment d’absence, doublée par une réflexion sur la fiction, font du premier tier du film de Mathieu Amalric une composition d’une poésie et d’une émotion diffuse, résolument bouleversante.

     Cependant, une fois que le long-métrage dévoile son secret et qu’il amorce un virage essentiel pour son personnage, Amalric ne transgresse pas la grammaire qu’il a installé depuis le début de son récit. Serre moi fort succombe alors à une forme de répétition, presque à une monotonie qui vient effriter l’émotion. "Ça ne fonctionne plus mon truc !" s’exclame lui-même/elle-même le rêveur/la rêveuse. Néanmoins, malgré cette redondance formelle, la suite du parcours du personnage et sa perte progressive de sa conscience entre réel et imaginaire, reste d’un tendre tragique assez touchant.

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          Serre moi fort est ainsi une errance d’un puissant potentiel thématique, formel mais surtout sensible et expressif, mais qui hélas échoue à coller aux émotions de son personnage sans tomber dans une certaine redondance du dispositif.

 

Réalisé par Mathieu Amalric

Ecrit par Mathieu Amalric

Avec Vicky Krieps, Arieh Worthalter et Anne-Sophie Bowen-Chatet

Produit par Les Films du Poisson, Lupa Films et Gaumont

Durée : 97min

Sortie le 8 septembre 2021 au cinéma

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