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À (re) découvrir

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Channel Zero 

une série crée par Nick Antosca

Par Mathieu Victor-Pujebet

Certaines œuvres ont été oublié de l’Histoire du cinéma. Certains films ont été injustement décriés au moment de leurs sorties ou alors adulés depuis mais pour de mauvaises raisons. Cette série de textes n’a pas pour ambition de remettre les pendules à l’heure mais peut-être de vous faire (re)découvrir des films et des séries qui mériteraient, il me semble, un regard neuf, un coup de projecteur plus ou moins inédit, pour ne pas oublier.

 

          Diffusée de 2016 à 2018 et produite par la chaine de télévision américaine Syfy, Channel Zero est une série d’anthologie horrifique crée par Nick Antosca et composée de quatre saisons adaptant chacune une creepypasta (ces récits horrifiques diffusés sur internet) différente. Candle Cove, No-End House, Butcher’s Block et The Dream Door sont donc quatre récits distincts, mises en scène par quatre jeunes cinéastes différents. Et si ces saisons de 6×45min ont séduit les amateurs de genres pendant ces deux années consécutives, le manque d’audience couplé à l’impossibilité pour la série d’exister sur le support de la SVod – Syfy n’étant pas Netflix… – Channel Zero est condamné depuis 2018 à l’oubli. Et dire que c’est une tragédie ne serait qu’un doux euphémisme tant cette anthologie d’horreur est un véritable bijou de terreur artisanale, de poésie et d’ingéniosité filmique.

           

     Les creepypastas sont donc des récits horrifiques qui naviguent de forums en forums dans le but d’effrayer les amateurs du genre en jouant avec différents mythes, références et imaginaires préexistants dans le but de créer des histoires inédites. Et ce qui est assez passionnant tout d’abord avec Channel Zero, c’est que Nick Antosca a réussi à cerner ce dispositif de recyclage culturel et l’a digéré au sein même de son écriture pour en faire l’essence de sa série. En effet, celle-ci est éminemment référencée et s’amuse à citer aussi bien Stephen King, John Carpenter, et Cannibal Holocaust que Stanley Kubrick, Nicolas Roeg ou Michael Haneke. Cet éclectisme référentiel témoigne d’une richesse et générosité cinéphile assez dingue et réjouissante sans pour autant s’inscrire dans un name dropping indigeste. Non seulement ici les références dialoguent entre elles, mais Nick Antosca a surtout fait le choix audacieux et encore une fois cinéphile de faire appel à quatre cinéastes indépendants aux styles et envies de cinéma singulières, permettant une richesse et une diversité formelle assez folle qui fait émanciper ces quatre saisons du dispositif de clin d’œil mécanique et vulgaire.

     Grâce donc à Antosca et à Craig William MacNeill, Steven Piet, Arkasha Stevensen et E.L. Katz, chaque saison va développer une esthétique et une personnalité qui lui est propre faisant ainsi naviguer la série du drame horrifique Kingien (Candle Cove) à l’introspection couplée au slasher (The Dream Door) en passant par une révision de l’imaginaire de la maison hantée (No-End House) et du trip gorasse surréaliste (Butcher’s Block). Channel Zero propose ainsi un panel esthétique délirant et ce, toujours avec une maîtrise et une appropriation par ses cinéastes qui force le respect. Chacun apporte son savoir-faire dans son filmage, découpage, montage et dans l’imagerie globale de chaque saison rendant la série infiniment riche sur le plan purement esthétique.

     Cependant, chaque saison de Channel Zero conserve un ADN commun qui lui est d’autant plus singulier qu’il refuse, en opposition avec le commun du paysage horrifique actuel, de trancher entre l’horreur joyeusement régressive et divertissante, et un cinéma de genre plus auteurisant qui puise dans cet imaginaire pour tracer des thématiques et des récits plus ciblés et riches. Ici le genre n’est pas là pour faire de la décoration mais véritablement pour retourner le spectateur avec un premier degré et une noirceur assumée et passionnante. Nick Antosca et son équipe témoignent donc d’un véritable amour du genre, qui plus est ici retravaillé de manière artisanale avec une attention toute particulière à son imaginaire (bestiaire, décor…) et à la matérialité de sa retranscription : poubelle les créations par ordinateurs, ici les effets pratiques, et donc palpables, sont rois et permettent une immersion sidérante et terrifiante dans une suite de récits passionnants et intimes.

     Parce que oui, ce qui est particulièrement intéressant finalement dans la démarche d’Antosca et dans l’adaptation qu’il livre de ces creepypastas c’est qu’il en puise toute la matière évocatrice pour peindre des récits bouleversants autour de nos peurs, culpabilités et égarements. Il sera donc dans Channel Zero constamment question de passés refoulés ou enchainant, de terreurs antérieures qui parasitent le présent et nous empêche de construire au futur. Mais ce qui est bouleversant dans la série de Nick Antosca, c’est la façon avec laquelle ce sont les récits, l’imaginaire qui peut être source de terreur. Le show télé maudit de Candle Cove, le monde idéal et personnalisé de No-End House, les sacrifices pour ne pas tomber dans la folie dans Butcher’s Block ou encore le dangereux ami imaginaire de The Dream Door : dans Channel Zero ce sont les mondes que l’on crée pour se protéger de la réalité qui nous en éloignent et nous plongent dans la terreur ou la folie.

 

          C’est donc tout une proposition poétique que nous livre Nick Antosca à travers cette série à la fois cinéphile, rigoureuse, généreuse, bouleversante et surtout terrifiante. Plus de raison de passer à côté de Channel Zero : frottez-vous à vos démons, si vous l’osez…

 

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Crée par Nick Antosca

Réalisée par Craig William MacNeill (Candle Cove), Steven Piet (No-End House), Arkasha Stevensen (Butcher’s Block) et E.L. Katz (The Dream Door)

Écrit par Nick Antosca, Don Macini, Harley Peyton, Erica Saleh, Katie Gruel, Mallory Westfall, Lisa Long, Angel Varak-Iglar, Angela LaManna, Justin Boyd, Alexandra Pechman et Lenore Zion

Avec Paul Schneider, Amy Forsyth, Hollen Roden et Brandon Scott

Produit et diffusé par et sur Syfy de 2016 à 2018 (disponible en dvd et en blu ray)

Durée : 24×45min

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