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Abou Leila

Un film de Amin Sidi-Boumédiène

Par Mathieu Victor-Pujebet

          Comment retranscrire avec justesse l’esprit, l’aura et les contradictions d’une époque et d’un pays ? Le cinéma est un art aux possibilités formelles infinies et les chemins de traverse évitant les voies balisées sont nombreux. Ce n’est pas le premier long métrage d’Amin Sidi-Boumédiène qui va nous prouver le contraire tant Abou Leila nous démontre avec inventivité et puissance qu’il est possible, sans prononcer les mots guerres civils et islamisme, de faire le portrait d’une Algérie malade et au bord du gouffre par le biais d’un geste de pur cinéma d’une maitrise absolument folle pour un premier long métrage.

           

L’histoire est celle de Loutfi et S., deux policier Algérois dont le second est considéré fou, à la recherche d’un terroriste dans le désert de l’Algérie des années 90.

Un film de traque donc, un pur thriller dont la simplicité du pitch vient faire corps à ce qui ressemble à une mécanique de film de genre : les personnages partent d’un point A et se dirigent vers un point B et font face à des péripéties. Cependant, rien de programmatique ici : le genre se parasite lui-même et Amin Sidi-Boumédiène finit par brouiller les pistes quant à la forme qu’il exploite, brisant les codes à chaque séquence avec une justesse et une aisance assez impressionnante. Le film débute dans une atmosphère de thriller urbain puis déborde sur une errance existentielle dans le désert : le style est composé et réaliste avant de sombrer dans la psychose de ses personnages et donc convoqué un baroque plus agressif. Boumédiène travaille les formes, les sculptes et n’a pas peur de les transgresser pour mieux servir son discours, sa pensée.

Sa pensée, quelle est-elle ? La très belle idée du film est de faire le portrait d’une Algérie en pleine guerre civile en n’essayant pas de décrire une suite d’épisodes historiques mais plutôt de sonder sensoriellement la psyché d’un pays et d’en peindre la psychose, la violence et de la désorientation. En témoigne la très intelligente et originale utilisation du thème de la folie : là où n’importe quel thriller lambda aurait cousu maladroitement un suspens gratuit autour de l’instabilité du personnage de S., Abou Leila est traversé par un dérèglement général qui n’est plus uniquement celui de S. mais celui, comme le répète souvent Loutfi, d’un pays tout entier qui a sombré dans la démence. La caméra témoigne alors des chimères de ces personnages avec une frénésie et une puissance tout simplement phénoménale.

Et il suffit d’observer le filmage et la manière dont sont insérées les séquences de cauchemars pour comprendre que la folie est ici partout jusqu’à même parasiter la réalité du spectateur. En effet, il n’est pas question de faire de ces passages hallucinés des instants découpés du film ou à part dans la narration mais au contraire de les inclure complétement dans celle-ci en les introduisant de manière tout à fait naturelle, en gardant en permanence un lien intime avec le réel. Il y aura donc toujours un cadre, un son ou un mouvement qui viendra raccorder avec précision et intelligence ces parenthèses fantasmées à la réalité, les deux allant jusqu’à se confondre, déborder sur les plages balisées qu’en attendrai le spectateur. 

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          Qui est fou ? La menace est-elle réelle ? Peut-on vivre ou revivre dans un tel monde ? Les repères sont donc brisés, pour le spectateur comme pour les personnages, en reste une quête hallucinée brillamment mise en scène, laissant deviner la naissance d’un réalisateur plus que talentueux et d’un des films les plus passionnants de cette année 2020.

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Réalisé par Amin Sidi-Boumédiène

Ecrit par Amin Sidi-Boumédiène

Avec Slimane Benouari et Lyes Salem

Produit par In Vivo Films et Thala Films

Durée : 2h20

Sortie le 15 juillet 2020

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