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Adieu les Cons

Un film de Albert Dupontel

Par Mathieu Victor-Pujebet

          Dès 1996 et avec son premier long métrage et premier succès Bernie, Albert Dupontel s’est positionné dans un rang un peu à part de la classe des cinéastes français. Réalisateur au cinéma drolatique, poétique et étonnamment incisif, Albert Dupontel a composé un corpus filmique fou et cinéphile qui a toujours su impressionner le grand public et la presse tout en sachant se renouveler. La preuve en est en 2017 avec Au Revoir là-haut, drame historique d’une beauté absolue que certains prendront comme un détour temporaire par le mélodrame mais qui était en réalité une pure continuité de son œuvre en mutant cependant d’autant plus qu’auparavant vers l’émotion. Évolution qu’il poursuit aujourd’hui avec Adieu les Cons, odyssée complétement frappée, d’une beauté et d’une richesse absolue.

            

     L’histoire est celle de Suze (Virginie Efira), coiffeuse solitaire qui apprend qu’elle est gravement malade et qui va donc tenter de retrouver son enfant qu’elle a abandonné sous X 28 ans auparavant. Elle va être aidée par JB (Albert Dupontel), un informaticien dépressif qui tente de se suicider suite à son licenciement mais qui, au lieu de ça, tue par accident un de ses collègues…

     Et de ce point de départ qui concentre le programme thématique et cinématographique du film, Adieu les Cons compose et mélange les genres avec une souplesse, une science de la précision mais aussi une générosité folle. Il ne sera donc pas étonnant de passer du mélodrame d’une mère malade qui recherche sa fille au grotesque du suicide raté de ce travailleur désespéré, le tout porté et garni par des élans romanesques d’une ivresse dingue et par des invocations de visions plastiquement sidérantes qui font lorgner le film du côté de la science-fiction (citons les transports en communs sombres où seule la lumière des téléphones portables, auxquels les passagers sont fixés, éclaire le lieu). Et tout coexiste étrangement ensemble : le résultat n’est pas un aboutement hétérogène de folies filmiques, mais au contraire un agencement quasi scientifique, bien que loin d’être clinique, des genres et des styles qui font du film de Dupontel une symphonie exaltante et passionnante.

     Et l’intelligence du cinéma de son auteur ne s’arrête pas à son sens du récit mais s’étend à l’inventivité et à la générosité de son filmage, de sa photographie et de ses agencements de manière générale. Jamais la démonstrativité de la mise en scène de Dupontel ne fait factice, artificielle, coquetterie ni même prétentieuse : elle n’est que la naturelle manifestation de la générosité de son auteur mais aussi, de façon presque Gilliamienne, de la folie et de la détresse de ses personnages.

     Parce que le parcours de nos protagonistes principaux les conduit évidemment à rencontrer toute une galerie de personnages plus ou moins hauts en couleurs qui, pour la plupart, sont des individus marqués par la vie, épuisés par la société ou en cours d’abrutissement par celle-ci. Notons le personnage, presque prémonitoire puisque le film a été écrit avant la crise des gilets jaunes, de Nicolas Marié en aveugle qui a une peur quasi pathologique de la police suite à un coup de flash ball dans le facies. Dupontel peut, à travers ces personnages à part, décalés de la société – ou au contraire asservies par celle-ci – glisser un discours incisif sur cette société. Un regard transgressif, donc, mais presque malgré lui : comme si la poésie de ces personnages "à part" induisait le regard acerbe de Dupontel, et non pas l’inverse, sur l’Etat et la société de notre époque, une conséquence presque mathématique et logique mais non pressentie de ce décalage, de cet onirisme anarchique. Il est évident que le film est chargé politiquement, mais c’est ce qui rend le cinéma du l’auteur français passionnant : la candeur et l’innocence avec laquelle il suit des personnages dans "l’à côté", en ne conscientisant que très rarement le discours politique en tant que tel, fait d’Adieu les Cons un poème enfantin qui dessine surtout les inquiétudes très contemporaines de son cinéaste. Et si cet anarchisme taquin et ce décalage exaltant a toujours été présent dans les films de Dupontel, il en emploie ici un versant plus mélancolique, comme le bout d’une course qu’il tente de tracer depuis toujours et qui peut-être touche bientôt à sa fin.

            

          Ce qui ne veut pas dire que le cinéma de Dupontel s’essouffle, bien au contraire ! Et elle est là la force à la fois militante et enivrante d’Adieu les Cons, la puissance politique et poétique de ce bijou d’Albert Dupontel : c’est l’histoire de deux fous, deux êtres usés et déchirés par l’existence et par le monde qui les entoure, qui s’entrainent dans une course folle et désespérée où ils espèrent retrouver, peut-être pour la dernière fois, le bonheur et l’émotion d’un "je t’aime"… et si les puissants disent qu’il est trop tard, la course n’en sera que plus belle !

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Réalisé par Albert Dupontel

Ecrit par Albert Dupontel 

Avec Virginie Efira Albert Dupontel et Nicolas Marié

Produit par Manchester films, Gaumont, France 2 et Canal +

Durée :  1h27

Sortie le 21 Octobre 2020

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