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Da 5 Blood : Frères de Sang

Un film de Spike Lee

Par Mathieu Victor-Pujebet

           Comment raconter l’histoire ? Comment retranscrire la douleur mais aussi la colère d’un groupe d’êtres humains qui a subi le manque d’intégrité civique et humain d’une société entière depuis des centaines et des centaines d’années ? La filmographie de Spike Lee (Do the Right Thing, Malcolm X) a été, dans les années 80/90, un modèle d’engagement, de témoignage et non sans un certain sens du style et d’intelligence de mise en scène. En 2020, le réalisateur américain revient, après son grand prix au festival de Cannes pour BlacKkKlansman, avec une production Netflix intitulée Da 5 Bloods : Frères de Sang.

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            Le récit est centré sur quatre vétérans de la guerre du Vietnam qui reviennent sur ces lieux imprégnés d’Histoire pour récupérer la dépouille de leur frère -"blood" en version original- tombé au combat… et ramasser en passant quelques lingots d’or enterrés sur place pendant la guerre.

De ce récit déjà vu, Spike Lee en tire un métrage formellement très inégal qui souffre de son faible budget tout autant du manque d’humilité de son réalisateur à vouloir obstinément fabriquer son film sur la guerre du Vietnam sans en avoir les moyens financiers. En résulte des séquences de guerre sous-budgétées, des moments de tensions souvent mollassonnes et une photographie assez grossière.

Cependant, là où le film de Spike Lee s’inscrit de manière assez intéressante dans son époque et dans l’esprit du spectateur c’est avec son discours. Parce que si les ambitions formelles de Spike Lee ne sont réconfortées que dans de biens trop rares séquences de tensions (celle du déminage ?), c’est avec de très bonnes idées que le cinéaste livre un film, non pas uniquement centré sur les afro-américains pendant la guerre du Vietnam, mais aussi et surtout, sur l’Histoire et l’héritage de chacun au sens large. 

En effet, les quatre comparses n’auront de cesse, durant toute la durée du film, de citer des héros de guerres, des sportifs et personnalités fortes de la communauté afro-américaine pour exprimer leur pensées ou se motiver les uns et les autres. De la même façon, que ce soit l’agent vietnamien qui parle de son frère mort pendant la guerre pour justifier sa quête de vendetta ou le personnage de Mélanie Thierry qui tente de racheter les horreurs commises par ses parents par la création d’une association de déminage : l’Histoire et le passé est un héritage, il navigue entre les esprits et les pensées par les actes et les mots. Et c’est ce qui est fondamentalement passionnant avec le film de Spike Lee : la mémoire rassemble et sépare, fédère et délie mais dans tous les cas fait corps avec le présent. 

Cette idée est évidemment retranscrite par la mise en scène avec plus ou moins de finesse, avec notamment des images d’archives qui viennent s’insérer dans le récit au rythme des discours des personnages. Il est aussi assez passionnant de voir à quel point le métrage exprime cette idée de l’héritage également dans son traitement des références filmiques, la plus évidente étant La Chevauchée des Walkyries qui ouvre tout le segment central de la recherche faisant ainsi écho à l’Apocalypse Now de Francis Ford Coppola : Spike Lee accepte et digère l’héritage du cinéma de guerre américain centré sur le Vietnam pour mieux en livrer son interprétation, sa lecture. Ce thème de l’héritage vient même infecter les relations entre les personnages sous forme de paternité complexe ou désavouée. Car tout l’enjeu du métrage est là : entendre son Histoire et s’en servir pour changer et construire demain. 

           

            Et c’est probablement ce qui rend ce nouveau film de Spike Lee aussi pertinent que décevant : une écriture parfois grossière et un cinéaste qui manque de moyens viennent parasiter un regard toujours rempli d’idées et une vision passionnante non pas de ce qu’est l’Histoire mais de comment celle-ci influe sur le présent, sur les pensées et les actes. Le cinéaste réitère également le final de BlacKkKlansman dans une scène concluant le film et faisant écho à l’actualité des tensions sociales et raciales dans l’Amérique contemporaine montrant que raconter l’Histoire c’est aussi montrer que celle-ci appartient au passé mais que c’est ce passé qui nous construit et nous façonne en tant qu’être humain.

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Réalisé par Spike Lee

Ecrit par Danny Bilson, Matthew Billingsly, Spike Lee et Kevin Willmott

Avec Delroy Lindo, Jonathan Majors, Clarke Peters, Chadwick Boseman, Mélanie Thierry et Jean Reno

Produit par 40 Acres & A Mule Filmworks

Durée : 2h35

Sortie le 12 Juin 2020 (Netflix)

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