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Felicità

Un film de Bruno Merle

Par Mathieu Victor-Pujebet

          Avec le flot incessant de films qui sortent en salles et en vod, on a tendance à oublier que s’imposer dans le monde du cinéma n’est pas une mince affaire. Financer, fabriquer et faire exister un film jusqu’à tenter de bâtir une carrière au-delà de celui-ci est un combat face auxquels de nombreux réalisateurs se sont cassés les dents. Ce n’est pas Bruno Merle (Héros) qui va nous dire le contraire puisqu’après "seulement" 13 ans d’attente, le réalisateur français revient à la réalisation avec son second long métrage : Felicità. Et c’est d’autant plus triste de voir les faiblesses du film aux vus du parcourt du cinéaste et de l’amour que le métrage dégage.

            

L’histoire est celle de Tim (Pio Marmai), Chloé (Camille Rutherford) et de leur fille Tommy (Rita Merle, la fille de Bruno Merle), une famille au quotidien particulier puisque vivant au jour le jour, sans maison, sans attache. Le film retrace une journée plus ou moins ordinaire dans ce quotidien qui l’est moins…

Parce qu’il faut être honnête : Felicità est un film qui pose problème. C’est un métrage qui a du cœur, qui est pleins d’idées et d’envies mais qui, selon moi, a un énorme problème qui vient boucher et enfermer le film dans des paradoxes assez problématiques. 

Mais avant de s’aventurer dans ces problèmes, de quoi parle véritablement Felicità : en suivant cette journée dans la vie de cette famille, Bruno Merle vient nous faire une jolie déclaration d’amour aux marginaux, à ceux qui préfèrent poétiser le moment plutôt que de l’abrutir avec un quotidien imposé par la norme. Cette attention pour les personnages à part est renforcée par le choix de suivre cette histoire par le point de vue de Tommy, la jeune fille. Comme on pourrait l’attendre cette décision apporte une touche d’onirisme qui donne au film une légèreté assez appréciable bien que contrebalancée par une violence et une noirceur diffuse assez intéressante qui empêche le métrage de tomber dans la niaiserie et au contraire lui donne une lucidité assez passionnante. Le scénario de Bruno Merle retourne même malignement ce qui serait une échelle de perception classique en faisant prendre, à plusieurs reprises, des décisions et des réactions assez matures à cette jeune fille en la rendant parfois plus adulte que ses propres parents. La violence et l’apprêtée citées plus haut sont donc d’autant plus belles qu’elles sont les résultantes d’une peur, d’une appréhension d’une enfant que son père dépasse ou ait dépassé les bornes. Le film oscille donc joliment entre une certaine légèreté solaire et une sombre amertume, toutes deux intelligemment retranscrites par la mise en scène.

Parce que oui, loin de moi l’envie de dénoncer la mise en scène de Felicità qui, malgré un aspect très démonstratif, reste d’une rigueur, d’une créativité et d’une ingéniosité assez bienvenue. Les cadres sont composés, la photographie est soignée sans être d’un formalisme exacerbé et chaque mouvement, chaque valeur de plan, en plus d’être signifiant vient mettre brillamment en valeur le trio de comédien qui est absolument extraordinaire.

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Mais d’où vient le problème de Felicità alors ? Le problème de Felicità est le choix de Bruno Merle d’avoir construit, fabriqué sa narration d’une idée toute bête et qui finalement sonne, sur le papier, comme éminemment cinématographique : l’idée du mensonge. Soyons bien d’accord : le cinéma nous ment tout le temps. Choisir un cadre plus qu’un autre, choisir une musique plus qu’une autre ou choisir un point de vue de narration plus qu’un autre sont des choix qui sont là pour berner le spectateur afin de mieux lui transmettre des émotions, synthétiser une idée ou développer une pensée. Le cinéma nous ment parce qu’il nous fait croire qu’il tient du réel alors qui le crée, le fabrique. Cependant, en disant que Felicità nous ment, je ne parle pas de ce rapport propre au cinéma mais, en revanche, du fait que le film fasse des promesses au spectateur sans jamais, ou presque, les tenir. Un exemple tout bête pour mieux comprendre : le métrage s’ouvre sur une séquence de dialogue dans un restaurant – même séquence que dans la bande annonce – où Pio Marmai raconte à sa fille qu’elle n’est pas la sienne et qu’ils l’ont trouvé quand elle était plus jeune. Si un spectateur crédule qui n’a pas vu la bande annonce regarde cette première scène il serait en bien de penser qu’il s’agit des prémisses du film et que l’enjeu du métrage sera de suivre la quête identitaire de cette jeune fille. Puis Tommy dit monotonement "très drôle" laissant comprendre, avec la réaction des parents, que la jeune fille est belle et bien la fille de Pio Marmai dans le film. Et si cette séquence semble être une blague assez anodine, elle sert surtout de manifeste à la construction de Felicità puisque cette mécanique d’écriture sera ressassée pendant 1h20 de métrage en variant la durée du mensonge et son application dans le récit (parfois verbal, parfois en flashback, parfois en séquence linéaire avant de revenir en arrière en disant "ça aurait pu se passer ainsi"). Le film est donc bâti sur une suite de blocs (anti ?)dramatiques où les personnages vont se mentir entre eux, parfois se mentir à eux même et ainsi berner les spectateurs, influençant la mise en scène et ne faisant avancer fondamentalement aucun récit.

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Et ce n’est pas tant qu’il n’y ait pas de réel dramaturgie qui soit le problème : la preuve en est, le cœur du film peut être passionnant même si ses fondements ne sont pas classiques. Le vrai problème que ça pose c’est qu’il promet au spectateur que la structure sera classique ! Il s’engage à développer une suite d’enjeux qui finalement ne seront jamais exploités laissant le spectateur avec ses attentes, non pas brillamment déjouées, mais violées et laissées pour mortes en attendant la nouvelle stimulation passagère. Attention, je ne dis pas que Felicità est malhonnête, bien au contraire : le film veut constamment jouer avec le spectateur en le laissant croire qu’il prendra une direction alors qu’il n’en sera rien. Seulement, après deux applications, le film semble déjà faire du surplace et pire, Bruno Merle parait prendre vainement des airs de petit malin alors qu’il a les meilleures intentions du monde. Le pire étant que cette forme de narration n’est pas fondamentalement incohérente, elle est même en parfait accord avec le sujet du film et développe une idée très belle : à savoir celle que les parents mentent à leurs enfants, qui eux aussi se mentent pour oublier que chacun est un Homme, un être humain, avec ses paradoxes et ses défauts. Cependant le film perd le spectateur avec des blocs narratifs qui ne développent pas une idée pure émotionnellement et dégraissée de tout impératif de structure de récit comme dans la saison trois de Twin Peaks ou encore Holy Motors respectivement de David Lynch et Leos Carax : il est une suite de promesses inaboutis, une idée belle mais peu engageante émotionnellement.

Et ce système de narration finie de freiner le film en allant presque à contre sens avec l’idée même de mettre en scène des personnages qui sont en fuite (fuir la police, fuir la normalité) : puisque la structure est répétitive, que les personnages tournent toujours autour des mêmes environnements et qu’ils finissent précisément là où le récit l’a annoncé (pour une fois…), ils donnent l’impression d’avoir fait du surplace pendant tout le long métrage contrairement à de grands films de fuite comme Pierrot le Fou de Jean Luc Godard où les protagonistes traversent la France avec une ivresse épuisante.

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          Felicità est donc un bien étrange film : parasité par ses ambitions bien que thématiquement passionnant et non sans une preuve d’amour pour son sujet, ses personnages et ses spectateurs. En reste un métrage que je conseille ne serait ce que pour le soutenir et vivre une expérience de cinéma étonnante où tout semble nous rapprocher des personnages, sauf le récit qui empêche une implication totale.

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Réalisé par Bruno Merle

Ecrit par Bruno Merle

Avec Pio Marmai, Rita Merle, Camille Rutherford

Produit Unité de production

Durée : 1h22

Sortie le 15 juillet 2020

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