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Je veux juste en finir

Un film de Charlie Kaufman

Par Antoine Barillet

          Lauréat de l’oscar du meilleur scénario original pour Eternal sunshine of the spotless mind et de deux Bafta du meilleur scénario original pour Eternal sunshine… et Dans la peau de John Malkovich, Charlie Kaufman revient pour sa troisième réalisation avec un film (et surtout un scénario) quelque peu alambiqué.

 

     Je veux juste en finir raconte l’histoire de Jake qui emmène Lucy, sa petite amie, à la rencontre de ses parents vivant dans une ferme reculée. Mais le voyage et la rencontre, d’apparence normale, s’enfonce doucement dans la fragilité psychologique…

Difficile de faire un pitch de l’adaptation cinématographique de Je veux juste en finir, dernier film de Kaufman que vous ne verrez pas dans les salles obscures car produit et distribué par Netflix. Le film se structure en 4 parties. Dans l’ordre chronologique : le voyage aller, le diner chez les parents de Jake, le retour et l’école. Presque tout au long du récit nous suivons le personnage de Lucy, aussi bien ses gestes que ses pensées d’ailleurs livrées sous forme d’une voix OFF. Et c’est de la que naît la grande intelligence du film. En effet, il se focalise sur Lucy alors que le personnage principal du récit est Jake. Le film raconte l’imaginaire de Jake et non l’histoire de Lucy ce qui est déroutant lors du visionnage mais on ne peut plus intelligent. Kaufman distille très subtilement les clefs de la compréhension de cet immense puzzle avec par exemple quelques scènes, durant lesquelles nous avons l’impression que Jake entend, comme le spectateur, les pensées de Lucy (Jake répond à des interrogations pensées de Lucy ou agit par rapport à ses pensées). Ou encore l’apparition régulière d’un vieil homme de ménage dans un lycée que l’on voit au travail, fan de film et de comédie musicale, comme Jake…

Les images elles participent à l’ambiance énigmatique et fantastique du métrage et c’est face à elles qu’il faut redoubler d’effort pour ne pas se perdre : d’une distorsion du temps chez les parents passants de jeunes parents à mère décédé et père sénile, à la vision d’un cochon animé rempli de verre en passant par une séquence de danse dans un lycée. C’est seulement à la toute fin que le spectateur peut recoller tous les morceaux avec plus ou moins de difficultés, Kaufman sachant donner juste ce qu’il faut pour comprendre et rendre le spectateur actif (on est loin d’un certain Hollywood contemporain sur-explicatif et cela fait du bien). 

Côté réalisation, Charlie Kaufman met tout en place pour sublimer son scénario. Les personnages semblent souvent en « reliefs » par rapport au fond, comme si en peinture, un tableau était composé de couches épaisses. Kaufman « décolle » ses personnages en métaphore à l’émergence d’une personne dans l’imaginaire de quelqu’un (ici Jake).

Kaufman oppose les deux séquences en voiture : durant l’aller, la caméra est soit fixe soit réalise des mouvements fluides, et le cadre varie entre gros plans et plans épaule. L’image est froide mais tout de même éclairée par le temps qui se gâte. Mais au retour, les acteurs sont souvent à moitié dans le cadre et la caméra semble plus tremblotante et hésitante. De plus, au niveau des lumières, l’image est extrêmement sombre mais toujours froide.

Kaufman joue aussi avec sa caméra qui devient omnisciente à l’image de Jake. Cette dernière « anticipe » les futurs mouvements notamment lors du dîner. Elle réalise une seconde avant le même mouvement qui sera effectué, comme une prédiction. Enfin, il s’amuse à créer des ambiances avec la lumière passant d’une couleur froide est sombre à une chaude et lumineuse durant le même plan pendant le diner.

Je veux juste en finir traverse intelligemment les genres au gré des idées subtiles de Kaufman : l’horreur psychologique rencontre la comédie musicale, l’animation, le fantastique et le film de danse. Tous ces éléments permettent au réalisateur de mettre en scène l’univers psychique dans lequel baigne les personnages tout en trompant le spectateur sur la nature même de cet univers.

      Avec beaucoup d’abstraction, Kaufman raconte finalement une histoire simple, celle d’un vieil homme solitaire et rempli de regrets qui, pourtant très intelligent, n’a pas mené sa vie comme il l’aurait voulu, ressassant des souvenirs qu’il entremêle à des fantasmes nourris par les fictions qu’il regarde (on imagine bien que Jake n’a jamais vécu avec Lucy et qu’elle est le fruit de plusieurs femmes, d’où le fait qu’elle change de prénoms et de métiers tout au long du film). La phrase je veux juste en finir est d’abord associé à Lucy qui pense mettre un terme à sa relation amoureuse, et glisse vers le vieux Jake qui lui souhaite en finir avec la vie.

 

          Je veux juste en finir est une plongée dans la psyché d’un homme frustré, morne et triste qui a souffert des étapes de la vie qu’il a vécues (vieillesse et mort des parents) et qu’il n’a pas vécues (le grand amour). Kaufman livre un voyage à travers les genres intelligemment écrit et mis en scène, original et déroutant, émotionnel et froid, triste et contemplatif, à l’image de Jake suivant le cochon rempli de verres vers la mort.

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Réalisé par Charlie Kaufman

Ecrit par Charlie Kaufman

Avec Jessie Buckley, Jesse Clemons, Toni Collette et David Thewlis

Produit par Likely Story et Netflix

Durée : 2h14

Sortie le 4 Septembre 2020

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