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Jumbo

Un film de Zoé Wittock

Par Mathieu Victor-Pujebet

          Le grand public a tendance à réduire le cinéma français à des comédies régressives ou à des drames démoralisants en oubliant, non seulement la richesse des possibilités de ces deux styles, mais aussi qu’il existe des tentatives véritablement passionnantes de cinéma de genre (science-fiction, horreur, action…) ou de manière générale d’un cinéma moins consensuel dans nos contrées hexagonales. Il suffit de jeter un œil à ce début d’année 2020 qui, même amputé de trois mois de salles, a réussi à fournir des œuvres aux formes diverses et audacieuses pour le meilleur (La Dernière Vie de Simon, ou le franco-belge Adoration) comme pour le pire (Merveilles à MontfermeilUne Sirène à Paris). Et cette nuée de films aux allures étonnantes est complétée par la sortie du premier long métrage de Zoé Wittock… qui malheureusement peine à convaincre malgré une certaine audace.

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     L’histoire est celle de Jeanne (Noémie Merlant), une jeune femme renfermée qui va tomber amoureuse de Jumbo, la nouvelle attraction dans le parc où elle travaille tous les étés.

Le film raconte donc une histoire d’amour mécanophile… point de départ insolite d’autant plus passionnant qu’il vient surtout raconter la difficulté d’aimer quelqu’un de différent dans un monde où la fermeture d’esprit est de mise. Parce que oui, ce qui passionne Zoé Wittock bien plus que la relation – et ce sera un premier problème du film – c’est surtout la réception de celle-ci et la difficulté pour le personnage de Noémie Merlant de faire exister cet amour dans un monde qui la prend simplement pour une folle. Le discours, même simpliste, est assez pertinent et toujours bon à rappeler malgré le progressisme ambiant de ces dernières années. Il est d’autant plus intéressant qu’il est peint par le biais d’une forme purement cinématographique en un sens : celle d’une romance, aux enjeux et rebondissements prétendument captivants, mise en scène avec un formalisme évoquant un certain cinéma fantastique. En effet, cinémascope et néons sont de mises pour évoquer un imaginaire fantasmé, non sans une certaine maitrise et intelligence de découpage. Notons également le travail du son qui donne brillamment corps à cette esthétique fantastique, stylisée, toute en étrangeté et sensorialité.

Mais si le film intéresse par son point de départ étonnant et son esthétique soignée, il est encombré par des problèmes d’écritures qui le rendent finalement assez peu convaincant. Déjà le manque d’équilibre narratif où la relation, qui n’est donc pas au cœur du récit comme je l’annonçais précédemment, est expédiée en quelques dizaines de minutes avant d’engluer le film dans des enjeux statiques et répétitifs : une fois l’histoire d’amour installée, le métrage n’aura de cesse de nous ressasser la difficulté de Jeanne de s’épanouir à cause du rejet de son entourage. Le problème que cela pose c’est que le film est dramatiquement fragile : on raconte une histoire centrée sur une relation qui n’est pas correctement installée et qui, en plus, est alourdie par des péripéties interchangeables, les rendant donc assez peu excitantes.

Et si en plus les personnages servaient d’accroche au spectateur dans ce récit… non. L’ennui c’est qu’ils sont ici caractérisés de manière assez grossière et acharnée ce qui, étrangement, est assez raccord avec l’insolence et l’étrangeté du point de départ mais n’est malheureusement pas suffisant pour fabriquer des personnages palpables et concrets : on voit donc Noémie Merlant jouer l’ado mal dans sa peau avec Jeanne, on voit également Emmanuelle Bercot jouer la maman lourdingue à la sexualité décomplexée avec Margarette et finalement on voit Bastien Bouillon jouer l’amoureux à la virilité exacerbée qui pense plus avec son pénis qu’avec ses neurones… mais on y croit simplement pas. On voit les archétypes mais ceux-ci sont imposés avec un geste tellement putassier qu’ils nous conduisent presque à l’écœurement. Seul peut-être le personnage de Sam Louwyck, l’amant de Margarette et voix de la raison, réussi à concentrer une part infime de l’empathie du spectateur par sa tendresse et son ouverture d’esprit. S’ajoute donc à la fragilité du récit un manque d’implication du spectateur pour des personnages auxquels il ne croit simplement pas.

           

          Parce qu’il est là finalement le problème de Jumbo, les détails d’écritures viennent parasiter un récit finalement assez audacieux pour intriguer mais pas assez abouti et finalement trop fou – ou pas assez ? – pour complétement emporter le spectateur. En reste une poignée de séquences au style éclatant et quelques jolis moments de mise en scène devant ce morceau de cinéma qui sonne bien trop comme une déception et une tentative inaboutie.

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Réalisé par Zoé Wittock

Ecrit par Zoé Wittock

Avec Noémie Merlant, Emmanuelle Bercot et Bastien Bouillon

Produit par Insolence Production, Les Films Fauves et Kwassa Films

Durée : 1h33

Sortie le 1er juillet 2020

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