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La Bonne épouse

Un film de Martin Provost

Par Mathieu Victor-Pujebet

        Vendre un film n’est pas une mince affaire. Ne serait-ce que de trouver un moyen d’attirer un maximum de spectateurs dans les salles sur les qualités populaires d’un métrage tout en ne trahissant pas les fondements même de l’œuvre – surtout lorsque celle-ci flirte entre les genres ou n’est simplement pas une œuvre consensuelle – relève de l’exercice d’une complexité sans nom. Il est donc très triste mais tout naturel qu’il existe une quantité de morceaux de cinéma qui ont vu leur nombre d’entrées amputé généreusement d’un score que leur ambition aurait dû leur donner la chance d’avoir à la place de commerciaux qui n’ont pas su vendre le film. C’est malheureusement le cas du nouveau long métrage de Martin Provost (Le Ventre de Juliette, Séraphine, Sage-Femme) vendu comme une comédie basse de plafond au progressisme lourdingue et qui, en plus, finira de se faire handicaper massivement par une certaine pandémie mondiale coupant court à la distribution du métrage. Mais heureusement, cette petite surprise de début d’année à la chance de faire partie des longs métrages qui ressortent en post-confinement, laissant ainsi la chance aux spectateurs de découvrir une œuvre pertinente, divertissante et assez intéressante dans son geste de cinéma.

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     La Bonne Epouse est donc le septième film de Martin Provost qui raconte ici les complications que va rencontrer une école ménagère de la campagne française, élèves et professeurs, à la mort du marie de la directrice, à la veille de Mai 68.

Presque tout est dans ce court résumé : si le film prend la forme de la comédie – tout à fait réussite en passant – il ne sera, sur le fond, que question d’un monde, tombé en désuétude, qui s’écroule. En effet, la grande intelligence du métrage est de ne pas tomber dans la facilité avec une passion dévorante pour la révolution des étudiantes de l’école – qui sont finalement assez effacées dans le film – mais de préférer suivre la prise de conscience progressive, de la part des professeurs, que le monde qu’elles ont avec conviction aidé à être perpétué, par l’apprentissage de ces codes misogyne et rétrograde, est à présent désuet, obsolète et sur le point de s’évanouir. C’est cette éruption de lucidité qui est très beau dans le film et Martin Provost évite sagement mais tendrement l’indignation et le jugement de ces femmes qui représentent cet ancien monde – brillamment interprétées par Juliette Binoche, Noémie Lvovsky et Yolande Moreau – qui sont toujours traités avec beaucoup d’amour et de cœur, plaçant l’empathie du spectateur au premier plan.

     En effet ce qui marque également dans le film de Provost et qui lui évite d’être programmatique dans le traitement de ses personnages c’est la grande douceur avec laquelle ceux-ci sont abordés. On peut citer le personnage de Juliette Binoche et de sa belle-sœur Yolande Moreau qui ont une relation dont la grande candeur et la bienveillance est profondément touchante, sans jamais oublier que ce sont des femmes fortes, capables de motiver le récit et de l’amener dans des retranchements d’émotion tout à fait surprenant et rafraichissant ("L’amour te va si bien."). C’est ça finalement : le film est doux sans être niais, drôle sans être régressif.

     La Bonne Epouse est d’autant plus passionnant que la chute de ce monde est mise en scène avec une rigueur, une intelligence et une signifiance très appréciable et finalement assez rare dans le paysage du cinéma comique mainstream français. C’est peut-être un peu idiot à dire, mais les cadres sont construits avec finesse et un certain sens du style, la photographie est soignée, chaque mouvement est précis et surtout (!) signifiant allant même retranscrire la chute de ce monde très composé avec un langage purement cinématographique : le découpage très retenu et précis de l’ouverture du film s’oppose à l’explosion de la séquence finale dont je garderai le secret mais qui repousse les limites de ce que le film avait installé durant les 1h40 précédentes.

           

          La Bonne Epouse de Martin Provost est donc un film rafraichissant, d’une rigueur et d’une intelligence de mise en scène qui propulse cette comédie progressiste au rang des films de divertissements les plus passionnants que vous pourrez voir au cinéma ces temps-ci ! Rappelons également que le film est pertinent et militant sans être grossier, il faut donc gaiement se lancer sur les routes des cinémas, à l’image de ces femmes dans le plan final du film, sur les routes de paris : prêtes pour la révolution.

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Réalisé par Martin Provost

Ecrit par Martin Provost et Séverine Werba

Avec Juliette Binoche, Yolande Moreau et Noémie Lvovsky

Produit par Les Films du Kiosque

Durée : 1h49

Sortie le 11 Mars 2020 / 22 juin 2020 (ressortie)

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