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La Nuit Venue

Un film de Frédéric Farrucci

Par Mathieu Victor-Pujebet

Tout commence par un regard… 

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            Parallèlement à la sortie de l’étrange Jumbo de Zoé Wittock (dont la critique est déjà sur Scope 35), un autre film francophone de ce milieu d’année étonne par sa forme, sa mise en récit et son style, à la croisée des genres et des idées : La Nuit Venue de Frédéric Farrucci.

          

L’histoire est celle de Jin (Guang Huo), ancien DJ devenu chauffeur VTC pour rembourser ses dettes envers la mafia chinoise qui l’a aidé à immigrer à Paris. Il rencontre un soir Naomi (Camélia Jordana), prostituée et danseuse, avec laquelle un lien va se créer.

Comparer ce premier long métrage avec celui de Zoé Wittock en introduction n’est pas tout à fait anodin puisque le film souffre, dans les grandes lignes, de certaines mêmes faiblesses que la romance mécanophile avec Noémie Merlant. En effet cette intrigue entre mafia, dettes et étau du destin qui se resserre tombe rapidement dans un rythme assez somnambulique faute à des enjeux trop mécaniques et programmatiques. Et si cette mise en récit semble déjà vue c’est qu’elle, à l’instar de ces personnages archétypaux, est directement héritée du film noir auquel le métrage empreinte les codes et grands topos. Les grandes lignes du récit sont donc déjà plus ou moins tracées par un squelette d’histoire assez prévisible.

Mais là où le film éveille l’attention c’est précisément sur deux points qui finissent par se rejoindre. Le premier est le portrait social d’un Paris du périphérique, un Paris sale, trivial, où les immigrés qui ont quitté leur pays pour des raisons diverses et variés viennent trouver ici l’oppression de leur propre communauté qui les exploite pour s’enrichir. La caméra de Farrucci vient scruter avec précision et pertinence ces passants auxquels on ne fait plus attention mais qui pourtant, tant bien que mal, essaient de s’en sortir. C’est assez intéressant de venir prendre une forme, même programmatique et facilement déchiffrable, d’un film noir pour peindre ce Paris des chauffeurs VTC, des vendeurs de roses, des prostituées désabusées.

Et le film en devient d’autant plus intriguant lorsque son cœur se dévoile, avec une retenue et une discrétion assez touchante : la relation entre Jin et Noémie. Il est évidemment question de personnages archétypaux et déjà vue : le grand brun taiseux et surtout endetté qui va s’éprendre de la femme fatale à la sexualité ambiguë mais attirante. Mais le film a l’intelligence, la finesse et la beauté de filmer ces rencontres avec une retenue et une tendresse, sans grandiloquence, assez émouvante. Des regards, des reflets, des éclats de lampadaires qui deviennent des étoiles… le film piétine dans des enjeux faiblards mais trouve et dissémine, avec une avarice excitante, des séquences d’une beauté assez dingue venant éclaircir le tout. Et si cette relation devient l’accroche principale du spectateur, elle en est d’autant plus passionnante qu’elle vient mettre en lumière la difficulté de s’extraire de ce monde d’argent où la liberté, au même titre que l’amour ou un tour de périph, devient un enjeu commercial, une prison capitaliste qui vient parasiter les liens entre les personnages. "Alors on te paie et ensuite tu me paies… c’est tout ?" Les mots d’indignation de Jin transforment alors cette romance en une mission – vouée à l’échec ? – qui est de, par l’amour, s’échapper de cet engrenage et de retrouver la simplicité d’un regard dans un rétroviseur et de la chaleur des corps qui se frôlent.

 

          Parce qu’elle est là la beauté de ce premier long métrage de Frédéric Farrucci : malgré un récit convenu et balisé qui en fait un film faiblard dramatiquement, il rappelle que, peut-être, dans ce Paris sale, il est possible de trouver, la nuit venue, des amants, comme lumières dans l’obscurité, des lampadaires sur le périph dont l’éclat vient illuminer la crasse d’un monde dépressif. Un éclat exprimé de manière éminemment cinématographique en un sens : par des êtres qui se parlent avec des regards, se disent "je t’aime" avec des notes de musique.

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Réalisé par Frédéric Farrucci

Ecrit par Benjamin Charbit, Frédéric Farrucci, Nicolas Journet

Avec Guang Huo, Camélia Jordan, Xun Liang

Produit par Koro Films

Durée : 1h35

Sortie le 15 Juillet 2020

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