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Lux Aeterna

Un film de Gaspar Noé

Par Antoine Barillet

          Pour cette rentrée, les fans de Gaspar Noé ont été servis puisqu’ils ont pu découvrir deux films du réalisateur dans les salles obscures. Tout d’abord, le montage chronologique d’Irréversible moins original que son prédécesseur mais toujours aussi coup de poing, et surtout Lux Aeterna, le dernier film de Noé, présenté lors de la séance de minuit au festival de Cannes 2019.

 

           Lux Aeterna raconte quelques heures sur le plateau de tournage de Béatrice (Dalle), réalisatrice qui veut tourner une scène de bûcher de sorcières incarnées par trois actrices dont Charlotte (Gainsbourg). Mais les tensions sur le tournage plongent littéralement le plateau en enfer.

     Contacté par la maison Yves Saint Laurent qui produit le film, Gaspar Noé aime à créer ses films dans « l’urgence » depuis Climax - Lux Aeterna a été tourné en 5 jours et monté en un mois - et ça lui réussit. 

Tout d’abord, Noé a trouvé le temps parfait pour son film. Si un 50 minutes est compliqué sur le plan commercial (à vendre, à diffuser…), artistiquement c’est la forme absolue pour le réalisateur d’Irréversible.

    Le film s’ouvre sur deux scènes de bûcher de sorcières issues de Häxan – La sorcellerie à travers les âges de Benjamin Christensen et de Jour de colère de Dreyer. Ces films en noir et blanc sont des références directes aux inspirations de Gaspar Noé pour la réalisation de son film. Après un carton avec une citation d’un grand cinéaste sur ce qu’est un metteur en scène (le film est composé de plusieurs cartons citant Godard, Dreyer et bien d’autres), les images 4/3 des premiers films se multiplient pour créer un split-screen de deux 4/3 : à gauche Béatrice en plongée déblatérant des anecdotes et à droite Charlotte, à niveau écoutant la réalisatrice un verre de vin à la main. Gaspar Noé expérimente le split-screen de façon très intelligente afin de mettre en scène le chaos ambiant d’un plateau de tournage. Il joue littéralement avec le spectateur qui doit faire un effort pour suivre deux conversations en même temps, dans deux langues différentes issues de deux situations. Dans Lux Aeterna, Gaspar Noé transforme le spectateur en voyeur, témoin de l’effervescence négative qui se dégage du plateau et joue avec lui : quel est le plus intéressant entre regarder des actrices seins nus se changer ou voir des sorcières se faire brûler par villageois beuglant des insultes ?

     La première partie du moyen métrage permet à Gaspar Noé de tirer sur chaque membre d’un tournage : la réalisatrice grande gueule, le producteur qui complote avec le chef opérateur pour virer la réalisatrice, le chef opérateur qui se prend pour le réalisateur, les journalistes intrusifs et le nombre de personnes présentes inutilement sur un tournage. Cette satire laisse voir Gaspar Noé dans un registre peu commun : la comédie. En effet, la première partie du film est très drôle autant dans les dialogues que dans certaines situations. Et la force du film repose dans le fait de glisser d’une manière parfaitement fluide du comique à l’horrifique. Une partie du split-screen devient des images prises « sur le vif » par un photographe de plateau mandaté par le réalisateur pour virer la réalisatrice, une anecdote sordide que Charlotte entend de la voix de sa fille au téléphone, les cris et insultes qui fusent, la rapidité des mouvements qui rend l’atmosphère oppressante et surtout le point d’orgue, les lumières stroboscopiques. Charlotte angoissée par sa fille se retrouve attachée sur un faux bucher quand l’immense écran derrière elle émet des stroboscopes rouges, bleus, verts et un son aiguë continu inonde la salle de tournage (et la salle de cinéma). Gaspar Noé ne choque pas émotionnellement, que ce soit notre cœur ou notre esprit, mais il choque visuellement au sens de la rétine. Pendant 20 minutes, Lux Aeterna plonge son spectateur dans un état sensoriel ahurissant à l’image de Charlotte, encouragée par le chef opérateur, comme si pour attendre la lumière éternelle, il fallait vivre la réalité de ce qu’elle joue. 

 

          Lux Aeterna est diffusé sur le territoire français avec seulement 42 copies et c’est bien dommage. Gaspar Noé réussit complétement son coup avec cette bombe à retardement artistique et sensorielle. Lux Aeterna est une expérimentation formelle qui casse le milieu cinématographique d’une manière chaotiquement amusante.

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Réalisé par Gaspar Noé

Ecrit par Gaspar Noé

Avec Béatrice Dalle, Charlotte Gainsbourg, Abbey Lee et Félix Maritaud

Produit Vixens Films, Saint Laurent et Les Cinémas de la Zone

Durée : 51 minutes

Sortie le 23 septembre 2020

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