top of page

Madre

Un film de Rodrigo Sorogoyen

Par Mathieu Victor-Pujebet

          Parmi les auteurs les plus passionnants et inspirés révélés par la décennie passée, Rodrigo Sorogoyen tient une place toute particulière en ayant notamment réalisé deux des thrillers les plus puissants et virtuoses de la fin des années 2010 : Que Dios nos Perdone et El Reino. Il est donc peu dire que l’attente de son retour à un drame intimiste après ces thrillers ambitieux était de taille : attente qui s’avère complétement comblée par une œuvre aussi bouleversante qu’ambitieuse, aussi belle qu’ambiguë.

            

L’histoire de Madre est celle d’Elena, une mère espagnole qui habite sur une plage des Landes où son fils a disparu dix ans auparavant. Elle y rencontre un adolescent, Jean, qui lui fait penser à cet enfant perdu et avec qui une étrange relation va se construire.

Il est donc question de deuil. D’un deuil difficile, voire possiblement insurmontable pour une femme qui aura beau essayer de se construire une nouvelle vie avec un nouvel amant, une nouvelle profession et un nouvel environnement, elle restera enfermée dans les remords et la tristesse de cet enfant disparu, condamnée à errer sur cette plage à contre sens des vacanciers et de leurs voyages éphémères. Un deuil impossible donc, jusqu’à sa rencontre avec Jean qui fera basculer sa vie, et par la même occasion le film, dans des recoins inattendus.

Déjà thématiquement : raconter une romance entre un adolescent qui rentre à peine dans le monde des adultes et une femme qui a plus de vingt ans de plus et qui projette son enfant disparu dans le corps de ce jeune homme ? C’est un pari risqué que propose Sorogoyen avec une histoire qui défie la morale racontée avec un tel premier degré que rapidement la distance et la gêne s’effacent pour laisser place à une grâce d’une absolue délicatesse. En effet, même si l’ambiguïté assumée du film est au cœur de son identité et de son originalité, elle n’est jamais un obstacle à l’émotion, à l’intériorité des personnages. Un bon exemple de cela serait très concrètement l’idée de ne jamais faire de l’identité du jeune homme un enjeu du récit : pourrait-il être le fils disparu ? Sorogoyen ne s’y intéresse pas et se concentre sur ce qu’il évoque pour Elena, pas sur qui il est vraiment. Ce qui passionne le metteur en scène espagnol, et c’est la très belle idée du film, c’est ce double deuil qui débouchera sur une double naissance : le deuil de l’enfant d’Elena qui la fera renaitre au monde et le deuil de l’enfance de Jean qui se confrontera à la naissance du désir et celui de la passion. Cette ambivalence démontre non seulement une attention communicative et toute particulière envers ses personnages mais aussi d’un sens de l’écriture et de la caractérisation tout à fait passionnant, aboutissant à une altérité très belle.

Cette altérité traverse évidemment aussi la mise en scène qui, toujours avec la rigueur et la virtuosité que l’on connait – et parfois reproché à tort – à Sorogoyen, navigue entre la pure mélancolie et la chaleur réconfortante d’un été ensoleillé. La richesse du film réside dans sa capacité à mélanger l’errance dépressive et l’éveil des sensations, des désirs. C’est une palette de style et de pouvoir d’évocation assez impressionnante que met ici en scène Rodrigo Sorogoyen en composant en plus avec son court métrage également nommé Madre réalisé en 2017 qui vient ouvrir le film dans une veine beaucoup plus proche de ses deux précédents films avant d’explorer des horizons plus en retenu. Quelques déflagrations frénétiques subsisteront cependant mais elles arriveront toujours au moment approprié : toujours pour témoigner d’une envie d’exploser des personnages, de s’abandonner, d’oublier le monde et de s’aimer.

           

          Et c’est ce qui est très beau avec Madre : le film n’est finalement rien de plus qu’une route vers la lumière, quitte à passer par des chemins que la morale pourrait remettre en question. Madre confirme donc brillamment Rodrigo Sorogoyen comme l’un des cinéastes les plus passionnants de ces dernières années, capable de balayer différents styles toujours avec une rigueur, une intelligence et une virtuosité ahurissante.

​

​

​

Réalisé par Rodrigo Sorogoyen

Ecrit par Rodrigo Sorogoyen et Isabel Pena

Avec Marta Nieto, Jules Porier et Alex Brendemühl

Produit par Amalur Films, Noodles Production, Le Pacte, Arcadia Motion Pictures et Noodles

Durée : 2h09

Sortie le 22 juillet 2020

bottom of page