Mon nom est clitoris
Un film de Daphné Leblond et Lisa Bulluard Monet
Par Mathieu Victor-Pujebet
La sexualité au cinéma, au sein de notre société occidentale bien-pensante, est un tabou. Il suffit de lister très simplement le nombre de scandales plus ou moins justifiés d’œuvres plus ou moins provocatrices pour comprendre que montrer et/ou parler de sexualité est plus complexe qu’il n’y parait. Et dans ce contexte de réticence vis-à-vis de ce sujet, il y en a un qui est encore plus profondément ancré dans notre culture : le tabou de la sexualité féminine. Évidemment on voit des femmes avoir des relations sexuelles au cinéma, on les voit parfois même se masturber : mais il suffit de creuser un tant soit peu certains sujets -sexualité "masculino-centré" par exemple- pour se rendre compte qu’il existe un véritable gouffre entre l’imaginaire collectif autour de la sexualité féminine, sa représentation et la réalité quotidienne de celle-ci. Gouffre que Daphné Leblond et Lisa Billuart Monet ont tenté de combler.
Mon Nom est Clitoris est un premier long métrage documentaire d’un duo de réalisatrices belges où douze jeunes femmes âgées de 20 à 25 ans vont échanger, face caméra, avec les réalisatrices sur le début de leur sexualité et sur de multiples sujets autour de celle-ci.
Tout d’abord, ce qui est assez passionnant avec Mon Nom est Clitoris c’est le double jeu constant auquel le film joue en ayant l’intelligence, le talent et l’innocence d’en avoir à peine conscience. Le premier, lui tout à fait conscient, est évidemment l’aspect didactique et purement informatif. Pour être tout à fait clair et honnête, il me semblait assez nécessaire de parler du film dans un premier temps pour son caractère qui frôle l’indispensable tant les thématiques et les sujets mis en avant dans le métrage sont traités de manière lacunaire, voir pas traités du tout, au sein de l’éducation nationale et des médias. Que ce soit la désinformation générale qui entoure non seulement la sexualité féminine mais aussi et surtout le corps de la femme, la question de l’orientation culturelle autour de la sexualité qui est éminemment genrée et a donc nécessairement un impact sur l’imaginaire collectif et sur sa représentation, ou encore tout simplement la question du consentement et de l’homosexualité sont autant de sujets et de thématiques que les discussions avec les réalisatrices vont couvrir. Ici pas de langue de bois, les sujets sont abordés franchement avec comme seul souci non pas de gêner ou d’être gênées mais de très concrètement transmettre leurs histoires pour que leurs errances, leurs décisions et leurs erreurs servent d’expériences à d’autres femmes. L’idée est d’ouvrir le dialogue, de donner la parole à ces jeunes adultes qui n’ont pas encore le recul ni l’expérience pour décrire ce qu’elles ont vécu -et ce qu’elles vivent encore- les plaçant ainsi dans une position de fragilité, de vulnérabilité et donc d’attention particulière à tout ce qui les entoure.
C’est précisément ce caractère à vif qui est capté dans le métrage des deux jeunes cinéastes : les jeunes femmes hésitent, rient, bégaient, elles parlent naturellement mettant le spectateur non pas en position d’auditeur passif mais de témoin silencieux dans le coin d’une chambre de jeune femme. Car il est là le second versant passionnant de ce documentaire : avoir placé ces discussions, ces témoignages, dans la chambre même des femmes interviewées (une des protagonistes est filmée en plan zénithale juste au-dessus de son visage dans son lit). Et là où ce geste d’esprit se transforme en geste de cinéma c’est en constatant que non seulement cela nous rapproche de ces anciennes ados et nouvelles adultes en prolongeant leurs personnalités par le décor de leurs chambres mais cela ouvre également une brèche tout à fait étonnante, une porte d’entrée très singulière dans le film : l’impression d’être sur le lit de ces femmes et de discuter de leurs vies en ayant envie de partager la nôtre. Cela crée une empathie extraordinaire, une empathie tout à fait cinématographique en un sens.
Mais soyons très clair : la forme du film est loin d’être révolutionnaire et le découpage, l’agencement des plans face caméra est au mieux tout à fait académique et au pire parfois hasardeux. Cependant Daphné Leblond et Lisa Billuart Monet ont eu l’intelligence de fabriquer et d’agencer les segments du film de façon à ne pas céder à une forme d’indignation et de, à la place, laisser grandir l’empathie du spectateur pour ces femmes.
C’est donc ça Mon Nom est Clitoris, un documentaire au sujet passionnant et nécessaire -pour les femmes comme pour les hommes- traité dans un geste de cinéma au fond assez classique mais qui réussit à cristalliser l’empathie du spectateur pour des jeunes femmes qui, comme tout à chacun, tente de se faire une place et de mieux se comprendre soit même.
Réalisé par Daphné Leblond & Lisa Billuart Monet
Produit par Iota Production
Durée : 1h17
Sorti le 22 juin 2020