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Pompéi

Un film de John Shank & Anna Falguères

Par Mathieu Victor-Pujebet

          Construire un monde… 

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          Entre le mastodonte Tenet, la très jolie comédie Effacer l’Historique et l’arrivée tardive du super-zéroïque Les Nouveaux Mutants, les sorties cinéma du 26 août ont gaiement camouflée la sortie d’un tout petit film, première réalisation commune entre le metteur en scène américain John Shank et la décoratrice Anna Falguères. Ajoutons à cela le nombre dérisoire de copies distribuées et il n’est pas bien difficile d’imaginer que le long métrage du duo international tombera vite dans l’oubli et que ce sera une très grande perte tant Pompei est un véritable bijou, certes un peu exigeant, mais fondamentalement beau.

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       L’histoire est celle de Victor (Aliocha Schneider), un jeune homme qui vit avec son frère Jimmy (Auguste Wilhelm) et un groupe d’enfants qu’il dirige avec un ami à peine plus âgé que lui. Véritable microsociété avec ses propres règles, l’équilibre de ce groupe va se voir bouleversé quand Victor va rencontrer Billie (Garance Marillier), une jeune femme au passé trouble dont il va tomber amoureux…

     Et parler de microsociété n’est pas inintéressant : le film évolue dans une temporalité abstraite où le monde tel que nous le connaissons à plus ou moins disparu. Les paysages désertiques de l’Hérault deviennent alors le décor d’un monde déjà installé, sur les cendres du notre, où les règles et la culture même du groupe ont changées. Ici, les jeunes d’une dizaine d’années boivent et fument, les deux plus vieux se font de l’argent avec des vols et des fouilles archéologiques et la culture même de la sexualité se fait par le voyeurisme de parties de jambes en l’air observées par les regards dissimulés des gamins. En évoquant presque un monde post-apocalyptique, le film suggère que ce groupe n’évolue pas seulement dans une strate à part de la société mais qu’ils ont carrément créé leur monde à eux, avec des codes et des fonctionnements qui leurs sont propres.

     Cependant tout va voler en éclat lorsque le personnage de Garance Marillier va entrer en scène. Véritable électron libre, elle va peu à peu parasiter ce groupe de l’intérieur, pas volontairement mais par la simple présence de son amour, jusqu’à faire glisser le film dans la romance puis le thriller. Et c’est ce sens de l’ambivalence et de l’altérité qui est assez passionnant dans Pompei : en travailleurs de forment exemplaires, les cinéastes ont réussi à mélanger le film de post-apo avec la romance tout en y insérant une mélancolie, une tristesse et un sens de la contemplation d’une beauté absolue. Il en est de même avec la gestion de la mythologie et de la modernité dont la résultante est le portrait de ces jeunes qui se baladent dans des ruines sur fond de musiques électriques et lancinantes – brillante BO de Dear Criminals – et d’un filmage signifiant et stylisé : le film est dans un entre-deux constant qui ne le fait pas stagner mais qui, au contraire, le pousse à la rupture.

      Et Pompei ne parle que de rupture : celle entre le monde dans lequel nous vivons et celui des jeunes en début de film, et celle entre Victor et le groupe. Parce que là où le traitement voyeuriste et presque mortuaire de la sexualité se manifeste au sein du groupe – comme si les séquences de sexe faisaient elles-mêmes partie de ces ruines d’un temps perdu – Victor et Billie vont se construire un monde bien différent puisqu’un monde de chair, de sensation et de sentiment : d’amour en substance, loin de la désincarnation et de la misère sexuelle mise en scène dans la première partie du film. L’attention aux corps et aux visages de la mise en scène du duo de cinéastes prend alors une ampleur assez folle et une grâce tout simplement incroyable.

            

          Cependant Pompei ne parle pas que de la création d’un univers mais aussi de la chute, de la destruction d’un autre. En effet, Victor va peu à peu s’éloigner du groupe, répétant les erreurs de ses ancêtres, engendrant des cris et des larmes. Comme si, en un sens, aimer c’était créer un monde en détruisant le précédent, jusqu’à peut-être un jour, pleurer sur ses ruines. Et c’est avec cette lucidité, cette mélancolie mais aussi avec son sens de l’évocation que le film d’Anna Falguères et John Shank touche des sommets de beauté absolument sidérants.

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Réalisé par John Shank & Anna Falguères

Ecrit par Josh Boone et Knate Lee

Avec Garance Marillier, Aliocha Schneider et Vincent Rottiers

Produit par Tarantula Belgique et Micro_scope

Durée : 1h30

Sortie le 26 août 2020

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