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Les Sept de Chicago

Un film de Aaron Sorkin

Par Mathieu Victor-Pujebet

          The Trial of the Chicago 7 est un projet qui traine depuis longtemps dans les cartons d’Hollywood : initialement monté en 2007 avec Steven Spielberg à la réalisation et Aaron Sorkin au scénario, le film va muter, s’écrouler avec la grève de la Writer Guild of America, puis renaitre avec à sa tête d’autres réalisateurs de renoms tels que Paul Greengrass ou Ben Stiller. C’est finalement Sorkin qui récupère le projet en 2018 en tant que scénariste et metteur en scène, double casquette qu’il avait déjà endossée pour son premier long métrage Le Grand Jeu avec Jessica Chastain. Et c’est de nouveau avec un récit inspiré de faits réels que l’auteur américain revient sur le devant de la scène, avec cette fois une sortie Netflix dans le monde entier suite aux bouleversements de planning de la Paramount dû à la COVID-19.

 

     L’histoire est celle du procès des Sept de Chicago, militants et leader de différents groupes de "la nouvelle gauche", qui manifestaient contre la guerre du Vietnam. Procès injuste, racisme à peine dissimulé et stratagèmes de l’état : le procès des Sept de Chicago devient le symbole des tensions de son époque, sous le regard ébahi du monde entier…

     Le Grand Jeu (2017) laissait une sensation d’étouffement : comme si ses aspects démonstratifs, malheureusement pas accompagnés d’une mise en scène assez solide, venaient alourdir l’ensemble. Certes le film était le produit d’un scénariste hors pair, bien que celui-ci n’avait plus rien à prouver, il en était aussi la preuve que Sorkin devait peut-être revoir sa copie pour proposer une prochaine œuvre qui serait plus forte et évocatrice dans son regard même de cinéaste, dans son dispositif de mise en scène. Et il se trouve que Les Sept de Chicago occupe précisément cette place dans la filmographie du scénariste de The Social Network : moins expansif que son ainé, ce nouveau film se déploie dans son resserrement avec un sens du détail et de la précision d’écriture digne de son auteur. En condensant ses désirs de mise en scène, Sorkin revient à un niveau d’orfèvrerie scénaristique assez sidérant où la finesse des dialogues n’a d’égale que l’intelligence de composition et de caractérisation de ses personnages principaux. 

     Mais attention, le cinéaste n’en n’oublie pas pour autant de faire du cinéma : la rigueur du découpage et du montage démontre un vrai sens du tempo tout en laissant une place dingue pour faire exister son casting, ses acteurs. Sorkin nous rappelle également, à travers une idée assez belle, que ces évènements relèvent d’une réalité crue et sans concession en faisant surgir des images d’archives exclusivement lors des séquences de manifestations et de répressions policières : jaillissement d’images du passé au sein de la fiction, réalité tranchante en décalage avec le ludique du film de procès.

     Parce qu’il ne faut pas oublier que c’est un film de procès, et évidemment, Sorkin ne se garde pas de sensationnaliser son dispositif pour le rendre dynamique et divertissant, passant ainsi par tous les passages obligés du genre avec ses retournements et ses envolés dramatiques. Cependant, la singularité du film vient du corpus passionnant de personnages qui viennent au plus juste retranscrire un discours sur les différentes formes de l’engagement et du geste pour manifester sa pensée. En effet, il est important de noter que la nouvelle gauche de l’époque était composée de différents groupes aux contextes social, envies et moyens de protester différents. Pacifistes, hippies, antimilitaristes, anticapitalistes, activistes et autres, réunis autour de l’incompréhension et du rejet de la guerre du Vietnam. Et Sorkin retranscrit à merveille, à travers les échanges entre ces militants à l’objectif similaire, les paradoxes et les questionnements que soulèvent l’engagement : comment montrer son désaccord et donner à voir à la majorité les débordements et la folie des décisions étatiques.

 

          On pourra alors facilement pardonner aux Sept de Chicago sa sous écriture de certains personnages perdus en cours de route, ses facilitées qui accompagnes le récit balisé du film de procès pour constater l’intelligence avec laquelle Aaron Sorkin dépend une Amérique au bord du gouffre, qui fait tristement pensée à celle d’aujourd’hui à la veille de la nouvelle élection du président des Etats-Unis : divisée entre deux époques, deux conceptions du mondes radicalement différentes, par vitre interposée, au moment où cette glass s’apprête à se briser…

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Réalisé par Aaron Sorkin

Ecrit par Aaron Sorkin

Avec Eddie Redmayne, Sacha Baron Cohen et Jeremy Strong

Produit par Paramount et Amblin Production

Durée : 129 minutes

Sortie le 16 Octobre sur Netflix

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