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Tenet

Un film de Christopher Nolan

Par Mathieu Victor-Pujebet

          Christopher Nolan. Il y a peu de noms au sein du Hollywood contemporain qui sont capables de créer, avec une telle frénésie, une attente au sein d’un spectre aussi large de spectateurs. Néophytes et cinéphiles aguerris : ce n’est pas pour rien que le dernier film de l’auteur britannique était littéralement attendu comme le Messie par les exploitants de salle et que le marketing publicitaire nous a donné à peu près autant mal à la tête que le long-métrage lui-même. En d’autres termes : le simple nom de Christopher Nolan sur une affiche transforme le film, qu’on aime ou non son cinéma, en un évènement dans le monde du septième art. C’est un fait. Mais maintenant que ce fameux blockbuster de l’Eté est sorti, il est enfin temps d’y jeter un coup d’œil en tant qu’œuvre de cinéma et d’oublier, le temps d’un instant, les enjeux économiques et financiers derrière sa sortie. Et il faut dire que derrière sa prétention et les problèmes inhérents au cinéma de Nolan, Tenet est une proposition assez étonnante et finalement intéressante au sein du paysage cinématographique actuel et de la filmographie même de son auteur.

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     L’histoire est celle du protagoniste (John David Washington), un espion qui va devoir lutter contre une menace organisée possédant une technologie révolutionnaire capable d’inverser le temps…

     Le schéma narratif est donc clair et d’une simplicité enfantine : un gentil doit faire face à un méchant pour sauver le monde d’une extinction totale. Mais évidemment il s’agit de monsieur Nolan donc tout ça n’est pas aussi simple et dire que Tenet est un concentré des plus extravagants du cinéma de l’auteur n’est qu’un doux euphémisme tant il contient absolument tout ce qui fait d’un film de Nolan, un film de Nolan. Et quand je dis tout je parle des points positifs comme des travers. Parlons déjà de la caractérisation des personnages qui, dans la grande tradition Nolanienne, est absolument creuse et sans substance scénaristique. Et là où cet élément peut s’avérer salutaire dans des œuvres comme Memento et Dunkerque, ce n’est pas le cas ici puisque l’identification et l’implication du spectateur s’en trouvent altérées. Heureusement le charisme de John David Washington et celui de Robert Pattinson viennent sauver des personnages qui littéralement ne sont définis que par leurs actes à l’écran. Notons cependant les exceptions que sont les personnages d’Elizabeth Debicki et surtout celui de Kenneth Branagh, la première interprétant un personnage pas bien révolutionnaire mais tout de même intéressant et le second un antagoniste d’une densité et d’une obscurité passionnante.

     Pour rester dans l’écriture, Tenet est, à l’image du reste de la filmographie de Nolan, éminemment conceptuel. Et si l’auteur britannique est un très bon scénariste lorsqu’il s’agit de trouver des concepts forts, ses faiblesses apparaissent dans la façon qu’il a d’installer son univers et les règles qui le régissent. Découpage lourdingue, dialogues explicatifs et autres veines épaississantes viennent montrer que le metteur en scène n’a pas gagner en humilité depuis ses derniers films et a même perdu en maitrise lorsque l’on se surprend à regretter la fausse légèreté d’écriture qu’avait Inception. Mais si Tenet possède tous les symptômes de l’écriture Nolanienne, il en possède aussi les fulgurances et certaines trouvailles qui rappellent que malgré sa prétention, Christopher Nolan reste un auteur de blockbuster assez passionnant.

     Parce qu’il y a ce concept, ce fameux concept de l’inversion temporel qui, même s’il est laborieusement installé, reste passionnant pour deux raisons : des fulgurances visuelles gentiment sidérantes et l’évolution du traitement du temps qu’il implique dans le cinéma de Nolan. Parce que Christopher Nolan a toujours travaillé le temps : le montage inversé de Memento, les montages plus ou moins alternés d’Inception et Dunkerque et encore le temps qui s’écoule différemment en fonction des planètes dans Interstellar. On avait donc jusque là un traitement narratif et thématique du temps mais ce qui est passionnant avec Tenet c'est que Nolan a délocalisé son obsession pour le temps au sein même du cadre : il filme l’inversion du temps comme un objet et un enjeu formel, et non plus comme un cadre, la temporalité devient ainsi un sujet graphique, et ça c’est un geste de cinéma assez fort.

            

          Tenet est donc un film lourdingue, voire prétentieux mais finalement assez malin et ambitieux pour nous en mettre plein la vue avec une générosité qui lutte avec les faiblesses du cinéma de son auteur pour essayer, tant bien que mal, de nous faire passer une séance de cinéma mémorable.

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Réalisé par Christopher Nolan

Ecrit par Christopher Nolan

Avec John David Washington, Robert Pattinson, Elizabeth Debicki et Kenneth Branagh

Produit Syncopy et Warner Bros. Pictures

Durée : 2h30

Sortie le 26 août 2020

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