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The Vigil

Un film de Keith Thomas

Par Mathieu Victor-Pujebet

          S’il y a bien quelques noms qui ont marqué le cinéma d’horreur durant la dernière décennie, celui de Jason Blum fait partie des plus cités, des plus remarqués. En effet, que l’on apprécie ou non les productions Blumhouse, on ne peut que saluer le gain de puissance de la firme principalement horrifique créée par Blum qui a construit sa ligne éditoriale autour d’une idée toute simple : peu de moyen, peu de temps de tournage mais grande liberté artistique et thématique. Entre films d’auteurs ambitieux et série B régressives, Jason Blum a su se créer un nom et imposer presque une marque de fabrique avec le seul logo de sa boite de production. Et si on peut souvent remettre en question les envies de cinéma de ce producteur qui cherche le gros bénéfice avec cette ligne éditorial, il a parfois l’humilité et l’audace de simplement faire bénéficier du public avide de genre qu’il s’est construit avec les années à des projets qu’il n’a pas produit en faisant figurer son nom au générique en tant que producteur exécutif et l’entête Blumhouse en début de film. C’est précisément le cas du premier long métrage de Keith Thomas, qui, sans être un grand film, vient discrètement livrer une série B d’une grande maitrise, d’une subtile originalité assez bienvenue et surtout d’une envie et d’un amour pour le cinéma et le sujet qu’il met en avant assez touchant et attachant.

           

L’histoire de The Vigil est donc celle de Yakov (Dave Davis), un ancien membre de la communauté juive orthodoxe qui, alors qu’il se remet encore d’un traumatisme, va se voir chargé de la veillé funèbre d’un membre décédé de ce groupe religieux. Seul, la nuit, dans cette petite maison de Brooklyn, Yakov va devoir se confronter à une entité maléfique qui ne lui veut pas spécialement du bien…

Avant de commencer il faut tout d’abord bien préciser : j’ai bien dit une subtile originalité. Parce que soyons clair, le premier long métrage de Keith Thomas possède tout de même des airs de déjà-vu. Que ce soit la maison isolée, la nuit qui ne se passe pas très bien et surtout certaines mécaniques d’horreurs qui font aussi bien écho aux classiques du genre qu’à leurs descendances : The Vigil n’est pas fondamentalement atypique dans sa forme. Cependant, la singularité du film s’exprime autrement. Déjà dans les mécaniques d’horreurs que j’évoquais précédemment : si le métrage est assez classique dans son traitement de l’épouvante il a l’intelligence et l’audace de faire quelque chose qui n’est pas si courant que ça, à savoir mélanger un style d’horreur très physique, très matériel et une vision plus intériorisée du genre, plus intime. Cela est d’autant plus admirable que ces deux approches de l’horreur seront traitées avec la même rigueur, la même maitrise : on aura donc d’un côté des corps – principalement celui de Dave Davis – qui sont mis à mal, qui sont abimés, qui craquent, et de l’autre, une mise en ambiance et un bouleversement qui lui, est plus de l’ordre du deuil, de la ruine personnelle et voire spirituelle.

Ce qui nous amène à la seconde originalité : celle de délocaliser son imaginaire horrifique dans le folklore juif, loin de la porte d’entrée catholiquo-centrée qui submerge le cinéma d’horreur depuis un certain film nommé L’Exorciste de William Friedkin (1973!). Sans être révolutionnaire, cela donne une touche d’exotisme au métrage le rendant plus déstabilisant puisque cet univers, cette mythologie ont beaucoup moins été traités au cinéma. On peut même aller plus loin en entendant la ligne de dialogue "Ce ne sont pas des cauchemars mais des souvenirs, simplement pas les vôtres" et en voyant le film évoquer l’antisémitisme contemporain ainsi que la Shoah et penser, sans aller trop loin, que ce démon qui pourchasse les personnages principaux peut aussi bien évoquer le deuil qu’une douleur, un héritage de souffrance de toute une communauté dont l’histoire s’est retrouvée meurtrie et ponctuée de haine à travers les âges.

Cette interprétation propulse une tristesse qui traverse le long métrage et finit de le rendre assez attachant. Tristesse, rendue compte par une mise en scène d’une justesse assez folle qui, par quelques idées balayées à travers le long métrage, vient déjà démontrer le talent d’un cinéaste en devenir. On peut citer par exemple un plan, sans rien révéler de l’intrigue, qui se trouve approximativement au milieu du film où Yakov regarde le drap mortuaire se lever devant lui. Ce plan d’ensemble de la pièce est comme flouté, légèrement embué comme si on le regardait à travers une brume humide. Le contre champ sur le visage du personnage principal qui a le regard larmoyant vient donner du sens à ce flou : la caméra ayant pris le point de vue du protagoniste, nous a fait voir le drap à travers ses yeux en larme, terrifié de ce qui se passe devant lui. Ce genre d’idée vient refléter avec acuité le drame intérieur des personnages propulsant le film dans des recoins de tragédie et de tristesse assez belles et démontrant de la grande capacité de son cinéaste à poser de l’empathie sur ses personnages.

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          The Vigil est alors un film d’une jolie maitrise dramatique, stylistique et filmique annonçant la naissance d’un cinéaste qui pourra s’avérer intéressant et terrifiant dans les années à venir.

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Réalisé par Keith Thomas

Ecrit par Keith Thomas

Avec Dave Davis, Menashe Lustig, Malky Goldman

Produit par Blumhouse Productions

Durée : 1h30

Sortie le 29 juillet 2020

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