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Un pays qui se tient sage

Un film de David Dufresne

Par Mathieu Victor-Pujebet

          Après plusieurs créations de web-documentaires qui lui vaudront un certain nombre de prix (pour Prison Valley et Fort MacMoney notamment), le journaliste et écrivain David Dufresne réalise cette fois un long métrage documentaire de cinéma intitulé Un Pays qui se tient sage, en référence à la vidéo publiée par un policier lors d’une arrestation musclée à Mantes-la-Jolie en décembre 2018.

 

     Ce documentaire exploite des vidéos de violences policières prélevées au téléphone portable lors des manifestations des gilets jaunes qui ont débuté fin 2018 en France. Des hommes et des femmes, d’horizons et même parfois de points de vus différents, viennent converser autour de ces images, de ce qu’elles reflètent et représentent de la France d’aujourd’hui…

     Et le terme converser n’est pas anodin puisqu’il ne sera pas question ici d’interviews, d’entretiens, ni même d’investigation mais véritablement de conversations entre ces individus dont les noms et professions ne seront révélées qu’en fin de film, après le générique. Et c’est déjà un premier élément passionnant et singulier du documentaire de Dufresne : pourquoi ne pas les nommer ? Pour replacer au centre de l’attention le discours et non plus la spécialité, l’idée avant la légitimité. Et cette volonté de remettre les pendules à l’heure est complétée par le traitement de ces images et la volonté de les prendre pour ce qu’elles sont, à savoir un véritable matériel brut et un point de départ réflexif. Ces vidéos dont on a entendu qu’elles étaient féroces et violentes dans leur décontextualisation vont être ici justement prises et débattues pour leur statut même d’image. Et cette humilité dans le dispositif de Dufresne est tout à son honneur et transforme Un Pays qui se tient sage en un vrai geste de cinéma et de mise en scène d’une pertinence indiscutable et même d’une certaine beauté : un mouvement de soumission face aux images et aux mots de ces intellectuels, victimes ou défenseurs de la cause policière, quand bien même ces paroles se contredisent. 

     Mais ce dispositif questionne aussi le concept de légitimité. Et pas uniquement la légitimité de la parole de ces intervenants mais surtout celle de la violence captée par ces images. En effet, en centrant une partie du documentaire sur la citation de Max Weber "l’état détient le monopole de l’usage légitime de la violence", Dufresne et les conversations qu’il met en scène pensent et débattent non pas l’existence même de cette violence mais sa signification à l’échelle sociale et politique. Opposition entre légalité et légitimité, verticalité ou horizontalité des décisions étatiques sont une partie d’un ensemble de sujets évoqués qui permettent une lecture passionnante des évènements qui se trouvent prolongées avec la crise raciale de cette années 2020. Donc dire que le film est d’actualité sonnerait alors comme un doux euphémisme mais mettre en avant sa nécessité aux vus des récentes démarches de l’état pour faire en sorte que les forces de polices ne soient plus filmées, devient alors une obligation éthique et citoyenne : ces images devenant la dernière barrière populaire face à l'oppression étatique.

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          Dufresne réussit donc le coup de maitre de revenir à la base même de toute construction filmique pour renforcer son propos en dégraissant son dispositif de tout maniérisme et revenir au cœur même de ce qui est nécessaire pour appréhender de tels évènements aujourd’hui : des images et des mots.

                    

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Réalisé par David Dufresne

Ecrit par David Dufresne

Produit par Jour2Fête

Durée : 1h26

Sortie le 30 septembre 2020

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