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Énorme

Un film de Sophie Letourneur

Par Mathieu Victor-Pujebet

          Après les problèmes liés à la Covid-19, inhérent aux sorties cinéma de ces dernières semaines, les premières séances du nouveau long-métrage de Sophie Letourneur s’accompagnent d’une polémique liée à son sujet, oubliant ainsi, pour ceux qui ont vu le film, le laboratoire formel complétement fou qu’est Enorme, bouleversant à lui tout seul la sage petite comédie française.

            

     L’histoire est celle de Claire (Marina Foïs) une illustre pianiste et de Fred (Jonathan Cohen) son agent, homme à tout faire et mari. Avec leur quotidien rythmé par les concerts tout autour du monde, le couple n’a pas le temps de se consacrer à un enfant, jusqu’au jour où ils en seront bien obligés puisque Fred remplace les pilules de sa compagne pour la forcer à tomber enceinte…

Parce que si la campagne promotionnelle du film nous a vendu Enorme comme une comédie de grossesse comme les autres – ce qui n’était pas pour nous rassurer – le nouveau long métrage de Sophie Letourneur est en réalité un objet de cinéma complétement fou. Que ce soit son ratio 1:33 et sa composition qui vient enfermer les personnages et fabriquer un cadre stylisé et composé ou encore le travail, comique ou non, des corps qui se déforment outre mesure : le film lorgne dans un premier temps du côté de la bande dessinée, invoquant ainsi tout un arsenal comique complétement fou qui évite soigneusement les clichés de la comédie de quiproquo. Cependant, au fur et à mesure que le long-métrage se déroule, les personnages font la connaissance de tout une ribambelle d’individus, tous joués et improvisés par des non-professionnels qui viennent apporter une drôle de sincérité qui contraste avec le jeu très théâtral de Jonathan Cohen et Marina Foïs. Ajoutons à cela une crudité dans le découpage et dans ce qui est montré et Enorme évoque tout d’un coup le documentaire médical : Sophie Letourneur expérimente, ne force aucun genre à se manifester mais vient, par juxtaposition, additionner des objets contradictoires pour former un ensemble impressionnant, véritable vent de fraicheur sans réelle limite si ce n’est son hétérogénéité.

Et ce mashup formel complétement délirant est d’autant plus intriguant qu’il vient servir une histoire passionnante sur une femme dont le mari a pris possession d’elle, de ses gestes, de sa parole, jusqu’à son corps qu’il va enfanter à son insu. Sophie Letourneur réussit cependant l’extraordinaire numéro d’équilibriste de ne jamais diaboliser le personnage de Jonathan Cohen, sans l’idéaliser ni cautionner ses actes non plus : c’est un égoïste attachant, un monstre sans en avoir conscience. Un monstre d’ailleurs traité comme tel puisque Fred va voler l’identité de Claire jusqu’à s’approprier cette grossesse aussi bien socialement, en suivant le parcourt de la femme enceinte à sa place, que physiquement, avec son corps qui se modifient comme si lui-même donnait naissance à l’enfant.

           

          Enorme raconterait alors, en substance, le récit de la reconquête identitaire de cette femme qui va peu à peu reprendre possession de son corps, réapprendre à parler, jusqu’à finalement pouvoir, de nouveau, toucher et aimer. Le film se conclue alors sur un dernier tier d’une émotion diffuse presque ininterrompue finissant de composer, avec Enorme, un tableau d’une richesse formelle tout simplement rare et réjouissante.

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Réalisé par Sophie Letourneur

Ecrit par Sophie Letourneur et Mathias Gavarry

Avec Marina Foïs et Jonathan Cohen

Produit par Avenue B Productions et Vito Films

Durée : 1h41

Sortie le 2 septembre 2020

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