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POUR OU CONTRE :

Tout Simplement Noir

Un film de Jean-Pascal Zadi et John Wax

Par Antoine Barillet

CONTRE

Par Mathieu Victor-Pujebet

           La comédie est l’un des genres les plus produits en France à l’échelle des sorties grand public et il est hélas trop courant d’observer que ce cinéma comique hexagonale – surtout celui prétendument engagé – a du mal à trouver une place et une forme pertinente, drôle et non pas anti progressiste et régressive. Entre les odes à la diversité ethnique qui deviennent des tracts nationalistes et les comédies cyniques qui utilisent des clichés sans les mettre en scène et les juger : toute une certaine classe de la comédie française sonne étrangement faux dans le paysage progressiste du monde dans lequel on vit. C’est dans ce contexte que nous arrive la toute nouvelle réalisation de Jean-Pascal Zadi (Cramé, African Gangster), accompagné ici par John WAX (photographe de plateau entre autres), sort dans nos salles. 

     Le film est un documenteur centré sur un acteur raté (Jean-Pascal Zadi) qui veut organiser une marche uniquement réservée aux hommes noirs pour lutter en faveur de sa cause : réhabiliter l’Homme noir dans l’histoire et dans le monde d’aujourd’hui. Il va donc partir à la rencontre d’une grande partie des stars francophones de cette communauté pour qu’ils le rejoignent… et ce n’est pas gagné.

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Comédie oubliable ou pamphlet malin ? Le film a divisé les rédacteurs de Scope 35 qui vous offrent un « pour ou contre ».

 

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          Comme dit précédemment : le film est un faux documentaire. Et il est assez intéressant de commencer cette critique par-là de façon à parler des quelques problèmes du métrage qui sont pour la plupart formels. Parce que oui, le documenteur est une mécanique bien particulière qui engage le film à un programme limité d’effets de mise en scène. Malheureusement le contrat n’est ici pas consciencieusement tenu puisque, pour le bien du découpage et de la lisibilité des séquences, le film se permet quelques entorses à son cadre, ce qui n’est pas pour renforcer le confort du spectateur. Ajouté à cela une structure assez répétitive, le film perd légèrement l’implication de son auditoire à cause d’une forme limitée et pas complétement aboutie.

Cependant, cette forme bancale va très largement être sauvée par une écriture absolument admirable. Parce que même si le casting du film est d’une densité, d’une richesse dingue et que chacun exploite à la perfection son talent : les dialogues, le timing comique et la folie de la mise en situation propulsent cette œuvre à des rangs de drôlerie aussi intenses que rares, ce qui mérite d’être souligné. Cet humour est la plupart du temps due à la capacité d’autodérision d’acteurs qui ont accepté de jouer avec un scénario qui s’amuse intelligemment de leur personnalité. L’humoriste Fary qui devient un people péteux en recherche de consensualité qui essaie de réaliser un Moonlight français et un Qu’est ce qu’on a fait au bon dieu bis, un Mathieu Kassovitz qui assume son rôle de metteur en scène aux allures de dictateur complétement fou ou encore un Lucien Jean-Baptiste, à l’accoutumé tout lisse et gentil, dont l’explosion fait passer le film dans un absurde et une folie pure : le scénario de Zadi, Wax, Eboué et Guemra étonne par son acidité et le délire du portrait de ces personnages qui forment la communauté rêvée du protagoniste principal.

Parce qu’il est là le cœur du film : il n’est pas simplement question de jouer avec l’image des stars ou sur des clichés bêtement anodins sur la communauté noire : l’enjeu est de passer au crible cette question du communautarisme et de se demander "Qu’est-ce que faire partie de la communauté noire aujourd’hui ?" Et ce qui rend le métrage de Zadi absolument passionnant c’est la grande lucidité, audace et pertinence avec laquelle il va disséquer cette question du groupe. En fabriquant des sketches autour des participants à la marche ou encore autour des différentes façons d’exprimer son idéologie : Tout Simplement Noir ne se contente pas de lever le poing pour dénoncer la condition des noirs en France aujourd’hui, il vient remettre les compteurs à zéro et mettre en lumière les extravagances, les débordements et les failles d’un communautarisme qui pourra porter une identité haut et fort à l’oreille d’une société, en occultant parfois la parole d’autres. Et ce qui est d’autant plus malin c’est qu’il le fait avec une lucidité et un rejet du politiquement correct qui le rend fort et particulièrement pertinent, surtout aux vues d’une actualité où la nuance du propos ne semble plus de mise. Et c’est précisément parce qu’il est clairvoyant que le film peut se permettre, toujours avec force et intelligence, de parler de cette oppression qui est tout de même présente : en témoigne ces deux séquences d’arrestations mises en parallèles. La première est justifiée mais devient médiatisée et virale, source d’indignation quand la seconde, pure bavure intolérable, filmée de manière sèche et violente, dans une ruelle, reste à l’abri des regards…

            

          Alors on pourra aisément pardonner à Tout Simplement Noir d’être répétitif, de parfois même manquer d’émotion, puisqu’il est précisément ce dont le cinéma grand public a besoin : une œuvre complétement folle et drolatique, tout en étant un brillant pamphlet où les idées ne sont jamais en opposition avec la pertinence, la subtilité et l’intelligence.

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          Ne voulant pas surfer sur la médiatisation du mouvement « Black Lives Matter », le film de Jean-Pascal Zadi et John Wax tombe tout de même au bon moment. Mais faire une comédie politique et engagée n’est pas chose facile comme le démontre Tout Simplement Noir.

Tourné sous la forme d’un faux documentaire, ce choix de réalisation est pertinent sans pour autant être très original. On comprend à travers certaines scènes – notamment celle de la seconde arrestation – que les réalisateurs ont choisis le faux documentaire pour donner une impression d’images prises « sur le vif », sans mensonge mais cette forme devient lourde avec le temps et les répliques (à chaque fois que l’équipe de tournage entre quelque part, les « guests » du film s’adressent aux caméraman).

Au niveau de sa structure, Tout Simplement Noir est un film à sketch ; le métrage alterne entre des moments avec Jean-Pascal Zadi seul et ces fameux sketchs remplis de guests. Une nouvelle fois, le film exhibe ses faiblesses et ses inégalités entre les scènes : Pour avoir littéralement pleuré de rire devant, on retiendra forcément la séquences avec Fabrice Éboué et Lucien Jean-Baptiste clashant mutuellement leur film respectif pour finir avec une scène hilarante et absurde. Mais la plupart des autres séquences sont soit oubliables (celles avec Claudia Tagbo ou Éric Judor), soit totalement ratées (celles de Dieudonné ou la discussion sur les arabes et les juifs avec Ramzy et Jonathan Cohen qui aurait pu être intéressante mais qui tombe à l’eau), à part celle avec Matthieu Kassovitz, hilarante si on aime l’humour noir. 

Finalement, les réalisateurs cherchent à faire un état des lieux de tout ce que représentent le racisme et le communautarisme en France sans jamais dépasser le simple constat. Le film déconstruit tous les clichées sans jamais vraiment dénoncer mais il a au moins le mérite de le faire de manière réfléchie. Malheureusement à force d’avoir voulu tout passer en revu seulement en survolant, le comique en prend un coup, le film n’est plus si engagé et une longueur aux trois quarts du film se fait ressentir (on pense à la seconde scène d’arrestation avec violence policière qui arrive à la fin du film, se déroule et tombe à plat, oubliée du film et du spectateur).

Il faut néanmoins remarquer que les acteurs sont très bons dans la caricature de leur propre personne – le personnage de Jean-Pascal Zadi est très bien écrit et superbement interprété ; Fary, rempli d’autodérision, est presque un premier rôle pour le bonheur du film – et apportent beaucoup au comique du film (on pense à Fabrice Éboué, Karreen Guiock, Joey Starr…).

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          Au final Tout Simplement Noir est une comédie qui aurait pu être bien plus percutante si sa structure avait été moins répétitive et que chacun des sujets abordés avaient été plus approfondis. Cependant, au vu du nombre de comédies régressives françaises qui sortent chaque année, Tout Simplement Noir est un film intelligent, qui montre les problèmes socio-ethniques de notre pays et qui admettons le, nous a quand même bien fait rire.

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Réalisé par Jean-Pascal Zadi et John Wax

Ecrit par Kamel Guemra et Jean-Pascal Zadi

Avec Jean-Pascal Zadi, Fary, Caroline Anglade

Produit par Gaumont et C8 Films

Durée : 1h30

Sortie le 8 Juillet 2020

POUR

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