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IL ETAIT UNE FOIS… ?

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EPISODE 2 : FUIR,

PIERROT LE FOU DE Jean-Luc Godard

Par Mathieu Victor-Pujebet

Parce que le cinéma est un parcours, parce qu’un film dessine les contours troubles de notre existence : baladons-nous. Je vous propose un voyage en cinq textes, travaillés autour de cinq mots et cinq moments de cinéma inoubliables qui nous ramènent à la fois à la noirceur de la fatalité mais aussi à l’incandescence du moment. Vivre, fuir, disparaître, se souvenir et revenir. Tout un programme.

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          Une soirée colorée, une voiture dans la mer, un perroquet sur une épaule, un nain armé et une ceinture à explosifs… Tel est le programme du dixième film de Jean-Luc Godard, Pierrot le Fou (1965) qui raconte la traversée de la France par Ferdinand (Jean-Paul Belmondo) et Marianne (Anna Karina) alors qu’ils sont poursuivis par un groupe de gangster…

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     Vivre est une mission difficile [voir épisode 1 sur Holy Motors de Leos Carax], une lutte qui nécessite une implication et un courage extraordinaire pour ne serait-ce que supporter l’idée de la fatalité, de la fin de tout. Mais si quelqu’un décidait de fuir ? De tout abandonner et d’essayer d’échapper à absolument tout ce qui nous enferme en tant qu’individu ? C’est ce que nous propose Jean-Luc Godard avec le flamboyant et incandescent Pierrot le Fou, immense film sur la fuite en avant de deux êtres qui ont décidé de tout abandonner pour vivre, et rien que vivre.

     Et le film s’en ressent dans sa forme : véritable explosion, Pierrot le Fou semble fuir la possibilité même d’inscrire l’œuvre dans une case, de l’enfermer dans un style particulier. Film noir, romance, comédie musicale, road movie, comédie, interview presque documentaire : le long métrage de Jean-Luc Godard est insaisissable, véritable déchainement de style allant même jusqu’à piocher, comme souvent chez Godard, dans la littérature, la peinture, la philosophie avec des citations morcelées, comme pulsions impossibles à contenir. Et ce débordement est aussi géographique puisque les personnages de Ferdinand et Marianne ne cesseront de se déplacer, de se mouvoir, faisant écho aux road movies qui font parcourir leurs intrigues et leurs protagonistes de manière horizontal. Ici, l’idée est semblable : si on ne peut pas aller plus haut (séquence sur le toit d’un immeuble), si on ne peut pas aller plus bas (les amants recouverts de sables au crépuscule), alors enfuyons-nous vers l’horizon. Pierrot devient alors une course effrénée où l’on crie, on danse, on s’aime, on se bat et on tue pour essayer d’échapper à l’inéluctable, tout faire pour qu’il ne nous rattrape jamais.

     Ne pas se faire rattraper… mais par quoi ? Par cette société déjà, par cette culture schizophrénique d’une France des années 60 prise entre l’impérialisme américain et les idées communistes qui traversent le monde. Une tension parcourt le film, une tension qui se conclura par une explosion finale qui sonne comme étrangement prémonitoire, trois ans avant Mai 68. Cette même explosion c’est aussi la fin de l’amour, le point final à une relation sentimentale entre Ferdinand et Marianne, qui fut un temps, avaient déjà été ensemble. Il s’agit donc également de fuir la fin de l’amour, de tenter de s’extraire de sa périssabilité. "L’amour est à réinventer.", cite ainsi Ferdinand en empruntant les mots de Rimbaud, le moindre temps mort du récit devenant ainsi une parenthèse de décrépitude de cette relation, avant de repartir sur la route, jusqu’à épuiser pour de bon la chaleur de cet amour.

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          Comment ne pas évoquer non plus l’ultime fatalité, inévitable jusque dans la fiction, celle de la mort qui traverse tout le film, comme pour nous avertir du destin funeste de nos héros, mais surtout pour rappeler que fuir ne sert à rien. Le destin nous rattrape toujours, il ne reste plus qu’à vivre l’instant. Ferdinand, Marianne et M. Oscar [Holy Motors, voir épisode 1] partagent finalement ça : la volonté de briller de mille feux avant l’explosion finale, avant la disparition…

 

                                                                                                                                           [À suivre : "disparaître"]

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Réalisé par Jean-Luc Godard

Ecrit par Jean-Luc Godard

Avec Jean-Paul Belmondo et Anna Karina

Produit par Société de la Cinématographie, Dino de Laurentiis Cinematografica, Dino de Laurentiis Productions et Rome Paris films

Durée : 1h55

Sortie le 5 Novembre 1965

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