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ELBISREVÈRRI - IRRÉVERSIBLE

de Gaspar Noé

Par Antoine Barillet

          « Le temps détruit tout » … la formule appropriée aujourd’hui serait plutôt le temps déconstruit tout puisque 20 ans après sa sortie, Irréversible ressort en salle avec un nouveau montage : Irréversible - inversion intégrale. Gaspar Noé a pris soin de remonter son film dans l’ordre chronologique et nous avons sauté sur l’occasion pour vous livrer un petit dossier.

 

     Après Carne (court-métrage de Noé), Vincent Cassel et Monica Bellucci, en couple à l’époque, approche Gaspar Noé afin de travailler avec lui. À l’époque, le réalisateur a en tête l’histoire d’un couple vu à travers leur relation sexuelle, ce qui deviendra 15 ans plus tard Love. Bellucci et Cassel refusent ce projet sexuellement explicite de peur de perdre totalement leur vie privée. Noé invente alors une histoire de viol et vengeance réunissant Cassel, Bellucci et Dupontel, un projet supporté par StudioCanal et dont Dupontel fut sûr qu’il ne se ferait jamais.

Et pourtant en 2002, le public cannois découvre pour la première fois le coup de poing Irréversible qui divise. En sortie de séance, les critiques fusent entre « un chef-d’œuvre » et « horrible, immontrable ». Dès lors, Irréversible interdit au moins de 16 ans à sa sortie, est devenu culte et en dépit de sa réputation de film immoral, c’est surtout un petit bijou de mise en scène.

     La première chose à dire et qui n’échappe à aucun spectateur qui a vu Irréversible est que le film est monté dans l’ordre anti-chronologique (le début du film est la fin de l’histoire et inversement). Noé a tourné son film dans l’ordre chronologique mais l’a monté à l’envers et au tournage Vincent Cassel a émis l’idée de le monter à l’endroit. Gaspar Noé avait peur que le film fonctionne mieux à l’endroit alors il a répondu « un jour peut-être », ce qui donnera presque 20 ans plus tard Irréversible : inversion intégrale.

     Mais restons sur la version originale d’Irréversible. Le film est composé d’une dizaine de plans-séquence. Noé fait ce choix esthétique car il pense que du plan séquence se dégage une énergie collective mais cela fait aussi encore plus adhérer le lecteur à la diégèse, aux paroles et gestes des protagonistes. Le personnage de Monica Bellucci s’appelle Alex, prénom mixte, ce qui fait que pendant toute la première partie du film, nous ne savons pas ce qui est arrivé à Alex et si c’est un homme ou une femme. Noé a pensé la construction de son film comme le passage du chaos vers la lumière ce qui se traduit à l’image par le passage de la caméra portée au steadycam. Jusqu’à la soirée incluse, les plans séquences sont tournés caméra au poing, ce qui permet des mouvements hésitants, tremblants, peu fluides, allant dans tous les sens et créant un fort flou de mouvement qui oppresse le spectateur comme dans le plan séquence dans le taxi ou celui de la boite de nuit. La séquence du métro et celle de l’appartement sont filmées au steadycam ce qui crée de la fluidité accompagnée de mouvements lents, plus calmes et doux. Afin de fabriquer une atmosphère dérangeante et anxiogène, le réalisateur a utilisé pour la première partie du film (boîte de nuit et rue), des infra-sons (sons très graves que l’on entend voire ressent lors d’un tremblement de terre).

     Le premier et le dernier plan séquence sont en tous points de vue opposés dans leur structure. La séquence de la boîte de nuit est anxiogène, ultra-violente, très sombre et met en scène une sexualité SM tandis que celle de la chambre est une bouffée d’air, belle, lumineuse qui met en scène un couple amoureux et sensuel. Voilà donc comment Noé illustre le passage du chaos vers la lumière.

     Il reste une séquence sur laquelle nous devons nous attarder, la fameuse séquence du tunnel qui a fait couler tant d’encre. Véritable choc, le viol a été tourné en plan séquence avec Monica Bellucci et Jo Prestia, un kick-boxeur. La séquence a été tourné six fois et Noé à travailler avec Prestia pour savoir ou mettre la caméra par rapport aux coups qu’il donne afin que la scène rende vrai. À la fin de chaque prises lorsque les acteurs découvraient la scène sur le moniteur, ils étaient bluffés. En post-production, des giclées de sang ont été rajoutés pour rendre l’horreur de cette séquence encore plus vraie. Noé dissémine aussi des éléments ignobles dans ce contexte comme un témoin, flou dans le tunnel qui assistant à la scène repart aussi vite qu’il est venu, sans intervenir, ou la vision du sexe en érection de l’agresseur après avoir commis son acte. Ces deux éléments peuvent paraître anodins mais ils participent subtilement à créer l’ambiance morbide de la séquence.

 

     Mais alors après avoir décortiqué un peu Irréversible, qu’est-ce qu’apporte le nouveau montage d’Irréversible - inversion intégrale ?

Tout d’abord, le choc est toujours le même près de 20 ans plus tard. Regarder le film dans l’ordre chronologique provoque une identification beaucoup plus forte des spectateurs envers les personnages (nous suivons l’histoire d’amour d’Alex, le fait qu’elle découvre qu’elle est enceinte dès le début...). Le personnage de Dupontel prend une nouvelle dimension, beaucoup plus humain, protecteur et sensé que dans le montage anti-chronologique tandis que Le Tellier lui, devient un personnage intouchable qu’on haït encore plus. La lisibilité et la compréhension du film sont aussi facilité. En plus d’être chronologique, le montage d’Irréversible : inversion intégrale est un montage émotionnel. Mais certes moins original…

Ce n’est plus une plongée vers la lumière, ni un jeu avec le temps, ou encore la recherche d’un absolu pour les personnages mais plutôt un défilement d’image dans lesquelles les personnages sont enfermés et se dirigent vers le chaos. Il faut le dire, l'intelligence et la force du film réside dans l'original Irréversible, de part son histoire certes mais surtout par sa déstructuration. 

 

          Avant d’aller voir le nouveau montage du film, on vous conseille de découvrir Irréversible dans son montage initiale (si ce n’est pas déjà le cas), afin d’apprécier encore plus Irréversible : inversion intégrale.

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Réalisé par Gaspar Noé

Ecrit par Gaspar Noé

Avec Monica Bellucci, Vincent Cassel et Albert Dupontel

Produit par Nord-Ouest Films, Eskwad, 120 Films, Les Cinémas de la Zone et Studio Canal 

Durée : 1h30

Sortie le 22 mai 2002 (Irréversible) et le 26 août 2020 (Irréversible - inversion intégrale)

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