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IL ETAIT UNE FOIS… ?

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EPISODE 1 : VIVRE

HOLY MOTORS DE LEOS CARAX

Par Mathieu Victor-Pujebet

Parce que le cinéma est un parcours, parce qu’un film dessine les contours troubles de notre existence : baladons-nous. Je vous propose un voyage en cinq textes, travaillés autour de cinq mots et cinq moments de cinéma inoubliables qui nous ramènent à la fois à la noirceur de la fatalité mais aussi à l’incandescence du moment. Vivre, fuir, disparaître, se souvenir et revenir. Tout un programme.

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            Une limousine, un accordéon, la samaritaine, une famille de singe et un masque vert… Tel est le programme du cinquième long métrage de Leos Carax, Holy Motors (2012) retraçant la journée de Monsieur Oscar (Denis Lavant), un artiste, probablement un acteur, qui va traverser Paris en limousine en endossant tour à tour les rôles de riche banquier, de mendiante handicapée, de père de famille, de bandit et bien d’autres. À chaque fois que la porte de la limousine s’ouvre, Monsieur Oscar devient un être humain différent, vivant ainsi, le temps d’un instant, les quelques émotions que l’action lui permet…

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            Véritable poème cinématographique, Holy Motors est, à l’image de cette suite de textes, un voyage. Un voyage dans Paris, évidemment, entre le discret plan monument de début de film, la vision aérienne au sommet de la nébuleuse Samaritaine et la plongée dans les égouts et sous terrains de la capitale : le film de Leos Carax décortique la ville dans une de ses visions les plus labyrinthiques, loin de la grandiloquence ou du didactisme d’une visite guidée. C’est également un voyage de cinéma où les expérimentations d’Etienne Jules Marey qui surgissent du film sont mises en parallèles avec d’autres expérimentations, celles de Denis Lavant courant sur un tapis roulant et se battant dans le vide au service d’une séquence en motion capture. Mais aussi une errance entre les genres puisque que si Denis Lavant devient un nouveau personnage à chaque fois que la limousine s’arrête, c’est également une nouvelle porte de cinéma qui s’ouvre à cet instant, un nouvel univers où le cinéaste habille sa mise en scène et épouse le style qui y convient. Entre docu-fiction social, film de monstre, drame familiale, comédie musicale… Holy Motors nous prend par la main pour une déambulation filmique où Denis Lavant endosse tous les rôles, devient tout le monde sans laisser entrevoir si ces personnages, si ces tentatives "d’être" laissent une trace en lui, même sur lui.

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            Parce que si Holy Motors est également un voyage émotionnel et intérieur, il est surtout le portrait d’un homme à la recherche du vertige, de la grâce. D’un corps, qui va endosser toutes les identités pour vivre le moment et y chercher l’éclat, la beauté. On pourrait donc facilement voir en le personnage de Monsieur Oscar une manifestation de Denis Lavant voir même de Leos Carax, tous deux à la recherche du beau et de l’évocation. Cependant l’enjeu du chef d’œuvre du cinéaste français ne serait pas, il me semble, complétement dans la peinture de l’acte de création mais plutôt dans celui d’exister, de vivre. L’exploration, la quête de l’émotion de Monsieur Oscar ne serait donc pas simplement celle d’un artiste mais la recherche d’un Homme à la poursuite du frisson, de l’incandescence du moment, de son éblouissement. Pourquoi ? "Pour la beauté du geste", répondra Monsieur Oscar face à un Michel Piccoli qui vient lui demander s’il y croit toujours. 

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Et ne plus y croire, Monsieur Oscar le pourrait bien, et pas uniquement parce que le monde dans lequel nous vivons fonctionne de plus en plus par soustraction – que le film met brillamment en scène : l’humain numérisant tout en en oubliant l’action – mais surtout parce que l’existence même dans Holy Motors n’a pas de but, pas d’espèce d’apothéose qui serait l’aboutissement d’un agencement de moments de vies. Ici, les séquences, les morceaux de vies s’aboutent les unes aux autres sans laisser de trace apparente si ce n’est la fatigue du corps de Monsieur Oscar. La seconde, la minute, le temps entre l’"action !" et le coupez !" est éphémère, de la même façon que chaque scène de notre existence l’est. Ce qui ne signifie pas que la grâce y est absente, peut-être se situe-t-elle simplement ailleurs : dans l’instant. La "beauté du geste" citée plus tôt et l’attention de Carax au mouvement devient alors une déclaration d’amour au soudain, à l’immédiateté, au vertige de l’émotion alors que tout est vain et éphémère. Et c’est ce qui retire à cette éphémérité toute sa tristesse, sa dépression même : si l’instant ne dure pas, alors fêtons le, vivons-le jusqu’à ce qu’il s’épuise et disparaisse dans le puit de notre mémoire. Holy Motors n’est alors pas une balade funèbre, c’est un cri, une pulsion, une explosion de vie qui raconte la traque folle et infatigable du vertige. 

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          En témoignent toutes les ruptures humoristiques du film, jusqu’à cette fin. Cette fin… Cette déconcertante fin. C’est aux files des visionnages que j’ai appris à l’apprécier, comme si, en prophétisant la fin de la matière, du moteur et donc, du mouvement, Carax, en y insufflant une touche d’absurde d’un humour très particulier, nous montrait que même en imaginant le pire, en fixant l’obscurité, le panache et la beauté parasiteront toujours nos cauchemars. C’est peut-être ça la vie : rouler à fond dans le mur en jouissant de nos cheveux au vent.

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Réalisé par Leos Carax

Ecrit par Leos Carax

Avec Denis Lavant, Edith Scob et Eva Mendes

Produit par Pierre Grise Productions, Theo Films, Arte France Cinémas, Pandora Film Production et WDR/Arte

Durée : 1h55

Sortie le 4 juillet 2012

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